A l'occasion de la relance de la campagne publicitaire "la Sécu, c'est bien, en abuser ça craint", M. Jean Claude MALLET, Président du Conseil d'Administration de la Caisse Nationale d'Assurance-Maladie, M. Gilles JOHANET, Directeur de la CNAM et le Pr. Claude BERAUD, Médecin-Conseil National avaient invité la presse le mardi 8 Septembre 1992 à 12 h.30 à un déjeuner débat dans le salon Jacob de l'Hôtel Méridien-Montparnasse, sur le thème "Comment lutter contre les abus ?".
Considérant que certaines dépenses de santé sont économiquement inquiétantes et qu'elles sont médicalement injustifiées, la campagne de sensibilisation lancée en décembre 1991 sans résultat probant, fut reconduite avec des moyens accrus dès septembre 1992 autour de l'argument : "le gaspillage existe". Cette "chasse au gaspi" visait
  • les assurés qu'il convenait d'informer et de prévenir,
  • l'Assurance-maladie qui devait améliorer sa gestion
  • les professionnels de santé qu'il convenait d'informer, d'évaluer et de contrôler.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres avancés sur les deux premiers chapitres, leur présentation en pourcentage n'étant guère convaincante, car elle masque la notion de transferts : ainsi la réduction des D.M.S.D.M.S = Durée moyenne de séjour en hospitalisation publique ou privée pouvant expliquer par exemple la progression des soins infirmiers de ville.
Par contre, le rapport rappelle que la France consacrait déjà 8,9 % de son PIB à ses dépenses de santé et que le taux moyen de prise en charge par la Sécurité Sociale qui était de 78,8 % en 1980 était tombé en 1991 à 73,6 %.
Par contre, les 62 pages du rapport BERAUD diffusé lors de ce déjeuner-débat ont provoqué des réactions indignées et des prises de position fracassantes, au point que le consensuel "Quotidien du médecin" avait titré la manchette du n° 5023 du jeudi 10 septembre 1992 :
"Le testament assassin du médecin-conseil national"
Sur le point de quitter son poste avant le terme de son mandat, le Pr. Claude BERAUD avait en effet estimé à partir de 2 publications américaines que "20% des interventions chirurgicales étaient inutiles" et que le "bien fondé d'une désobstruction carotidienne était de 70% pour les chirurgiens et de 38% seulement pour les médecins".
Condamnant certains examens complémentaires, 90% de scanners lombaires, 75% d'échographies abdominales, des prescriptions pharmaceutiques inutiles, et le coût prohibitif de certaines techniques comme l'hyperthermie prostatique, le Pr. BERAUD a tenu à confirmer certaines déclarations antérieures sur les appendicectomies inutiles (France-Soir du 20 juin 1978), sur les cholécystectomies et les césariennes trop nombreuses, sur les durées d'hospitalisation excessives, sur les indications trop larges des fibro ou coloscopies, des écho-electro-cardiogrammes, sur les abus de prescriptions de kinesithérapie, d'arrêts de travail, etc…
Après avoir classé les excès, les abus et les fraudes, au regard des intentions, de la réglementation, de la déontologie ou des critères scientifiques, le Pr. BERAUD constate que "le Conseil de l'Ordre est d'une extrême mansuétude".
Même si le Pr. BERAUD dénonçait certaines pratiques (devenues très rares depuis les conventions) entre généralistes et spécialistes destinées à "fidéliser leurs clientèles respectives", il se montre encore plus sévère lorsqu'il dénonce "la grande délinquance médicale"... "Même si elle est exceptionnelle, ses risques pour les malades sont considérables. Divers drames prouvent que son existence est réelle : il s'agit par exemple d'interventions chirurgicales parfaitement inutiles, comportant des risques élevés de décès et de séquelles que des chirurgiens réalisent pour satisfaire des objectifs personnels".
Notre plainte devant l'Ordre
Ce passage particulièrement agressif fut pudiquement occulté par la presse professionnelle. Il a cependant motivé les plaintes du Collège National des Chirurgiens Français et de la Fédération Nationale des Praticiens des Ets privés devant le Conseil National de l'Ordre des Médecins, fondées sur les art. 33, 50 et 80 du Code de déontologie Art 33 : Tout médecin doit s'abstenir, même en dehors de l'exercice de sa profession de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci.

Art.50 : Les médecins se doivent une assistance morale. Il est interdit de calomnier un confrère, de médire de lui ou de se faire l'écho de propos capables de lui nuire dans l'exercice de sa profession.

Art. 80 : Un médecin chargé d'une mission de contrôle doit être circonspect dans ses propos et s'interdire toute révélation ou interprétation. Il doit être parfaitement objectif dans ses conclusions.
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Nous savions bien que notre plainte avait très peu de chances d'être considérée comme recevable puisque tout médecin fonctionnaire chargé d'un service public est protégé par l'art. L. 148 du Code de la Santé Publique. Il ne peut être déféré devant la juridiction disciplinaire de l'Ordre National des Médecins que par le Ministre, le Procureur de la République, ou par le Directeur départemental des Affaires sociales.
Or le Ministre en exercice était Bernard KOUCHNER qui devait bientôt être remplacé par René TEULADE et notre plainte ne fut pas relayée.
Les réactions : une réprobation unanime
Elles furent immédiates et nombreuses et largement répercutées dans la presse professionnelle. En premier lieu, le Dr Louis René, Président de l"Ordre National qui s'est déclaré "stupéfait par les déclarations du Pr. BERAUD dont les accusations sont sans preuve" et que ces accusations étaient "un manquement grave à la déontologie" Quotidien du Médecin n° 5025 du 14 sept.1992. Pour Jacques MOULIN, alors, Vice-Président de l'Ordre National, "Il n'était pas digne de faire une telle déclaration" Quotidien du Médecin n° 3652 du 15 sept.1992. Le Président de la CSMF, le Dr Jacques BEAUPERE considéra que "certains mots ne pouvaient être le fait que d'un irresponsable. On demande à la CNAMTS de se désolidariser et aux tribunaux de réparer cette diffamation contre toute une profession".
Dans un communiqué, la CSMF qualifia les propos du Dr BERAUD "d'infamants" et que la profession ne saurait tolérer "une telle agression qui, en outre, compromet les relations de coopération souhaitables avec l'Assurance-maladie". Le Dr TAIEB, président des électro-radiologistes (CSMF) a estimé que "les contre vérités et les insultes sont inacceptables".
Le Dr. Richard BOUTON, Président de MG France a déclaré de son côté que les propos du Pr BERAUD risquaient de compromettre les nouvelles négociations conventionnelles : "Mais quelle mouche l'a piqué ? (...) Il a perdu son sang- froid. Il a usé de qualificatifs injurieux à l'égard des médecinsQuotidien du Médecin n° 5024 du 11 septembre 1992, (...) (Si le Pr. BERAUD ne retire pas sous huitaine et publiquement, ses déclarations, plainte sera déposée au Conseil Régional de l'OrdreQuotidien du Médecin n°5026 du 15 septembre 1992.
De son côté, la FMF s'est élevée dans un communiqué contre "les accusations très graves formulées par le Pr BERAUD, visant à discréditer auprès des malades le corps médical tout entier. Sans une déclaration de la CNAM", désavouant leur auteur, "la FMF décidera de suspendre toute concertation entre les médecins libéraux et les médecins de Caisses". Le Dr Guy LOGEAIS, représentant de la FMF au Comité Médical Paritaire National, considérait que "le document du Pr. BERAUD était d'une pauvreté indigente dans les remèdes proposés dont l'orientation traduit d'ailleurs tout un état d'esprit basé sur une seule notion : le contrôle permanent"Panorama du médecin n° 3658 du 23 sept.1992. De son côté, le Dr Dinorino CABRERA, Président du SML a déclaré : "Je regrette que le Pr. BERAUD s'exprime en ces termes. On a beau jeu de se laver les mains au moment où on part. S'il existe des abus, le Pr. BERAUD en est coupable pour ne pas avoir traduit ces médecins devant les juridictions compétentes." Le Quotidien du Médecin n° 5024 du 11 sept.1992
Mme le Dr Anne Marie SOULIE, présidente du Syndicat des Médecins de groupe (CSMF) observe que le Pr. BERAUD "s'était fait le chantre de la qualité des soins(…) Il nous laisse pour son départ une politique haineuse et incompréhensible. Nous en avons assez de ces anathèmes excessifs"Le Généraliste n°1373 du 22 sept.1992. Le Dr J.M. LETZELTER, Président d'Action-Santé considéra "avec effroi les déclarations du Pr. BERAUD, nouvelle touche particulièrement infamante de la campagne de dénigrement d'une profession qu'il convient de salir avant de l'asservir" Impact Médecin Quotidien n°276 du 17 Sept.1992 et Quotidien du Médecin n° 5028 du 17 sept.1992. La COMERLY, Coordination des médecins de la Région de Lyon, animée par le Dr JOSEPH a apostrophé le Pr BERAUD en ces termes :"M. BERAUD, vos hautes fonctions administratives vous ont-elles éloigné de l'exercice de la médecine au point d'en oublier votre devoir de confraternité et l'art.33 de notre Code de déontologie ?" Le généraliste n°1373, 22 sept.1992
Le Président de la FIEHP, le Dr Louis SERFATY a jugé "excessifs" les propos du Pr. BERAUD, en ajoutant : "Je comprends mal qu'un homme de la qualité et de l'intelligence du Pr. BERAUD ait choisi le moment où il s'en va pour lancer une action sulfureuse. On ne laisse pas un testament à son successeur… On ne peut pas traiter comme cela l'ensemble des médecins de délinquants" Quotidien du Médecin n° 5028 du 17 septembre 1992. Enfin, le Dr B.C. SAVY, Président de l'UNAM, avait entamé une procédure judiciaire contre le Pr BERAUD "dont les débordements incontrôlés et les égarements doivent être sanctionnés"Toutes ces références sont reprises des Cahiers de Chirurgie n° 84 – 4/1992, p. 137-149..
La réaction des médecins-conseils
Elle fut immédiate et quasi-unanime : non seulement, à l'exception d'un seul, ils se sont abstenus d'assister au cocktail d'adieu du Pr BERAUD, mais encore plusieurs médecins-conseils régionaux ont exprimé, en privé, leur stupéfaction, voire leur indignation contre ce coup bas porté à la profession tout entière et à la ruine de leurs efforts d'apaisement dans les rapports parfois difficiles qu'ils entretiennent avec leurs confrères libéraux.
Le Dr Jean MARTY, ancien Médecin-Conseil National et prédécesseur du Pr BERAUD fut encore plus sévère : "S'il a osé dire et écrire toutes ces horreurs, c'est parce qu'il part prématurément. Il n'a pas réussi à faire ce qu'il souhaitait faire, c'est-à-dire la chasse au libéralisme… Lorsqu'on accuse les médecins d'être laxistes dans leurs prescriptions, encore faut-il se rappeler que ce sont les professeurs de CHU, comme le Pr BERAUD, qui les ont formés. Je m'étonne enfin que le supérieur hiérarchique direct du Pr BERAUD, je veux parler de Gilles JOHANET, Directeur de la CNAM, ait laissé passer de tels propos. En revanche, je suis extrêmement satisfait de constater que le Ministre des Affaires Sociales, René TEULADE et le Président de la CNAM, Jean Claude MALLET ont tenu à condamner le rapport BERAUD"Quotidien du Médecin n° 5028 du 17 sept.1992.
Le Dr Claude ROSSIGNOL, Médecin Conseil National de la CANAM, a désavoué implicitement son collègue de la CNAMTS, le Pr BERAUD en déclarant : "de toute façon, dans un partenariat bien compris entre médecins traitants et caisses, la violence ne saurait se justifier. Les affirmations du Pr BERAUD relèvent de sa responsabilité et n'engagent que lui…Il serait discutable de les généraliser à l'ensemble des régimes d'Assurance-maladie et en particulier à leur service médical. Pour réaliser la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, rien ne peut se faire sans les professionnels ou contre eux. Il convient d'éviter ce qui peut nuire à une collaboration obligatoire surtout au moment où vont à nouveau s'ouvrir, du moins je l'espère, de nouvelles discussions conventionnelles… De toute façon, dans un partenariat bien compris, la violence ne saurait se justifier. Mes responsabilités me commandent un devoir de réserve que je me suis toujours efforcé de respecter. Aussi je n'en dirai pas davantage."Panorama du Médecin n° 3653 du 16 septembre 1992
Enfin, le Syndicat Général CGC des médecins des Organismes de Sécurité Sociale "s'est déclaré scandalisé de voir le Médecin Conseil National de la CNAMmettre à bas le travail considérable accompli par le service médical". Jugeant "irresponsables" les propos tenus par le Pr BERAUD, le Syndicat a demandé "qu'il n'ait plus ni de près ni de loin, une quelconque responsabilité au niveau national". Le bruit avait en effet couru que le Pr BERAUD briguait un poste de conseiller auprès du Directeur de la CNAMTS.
Les politiques aussi.
M. Jacques BARROT, Président du Groupe UDF à l'Assemblée Nationale et ancien Ministre de la Santé et de la Sécurité Sociale a estimé que "s'il était souhaitable de sensibiliser les prescripteurs et les assurés sociaux", il ne fallait pas culpabiliser les médecins et les soignants au moment où se renouent les fils d'une négociation contractuelle et éviter toute provocation"Quotidien du Médecin n° 5028 du 17 septembre 1992.
M. Jean Yves CHAMARD, député RPR et porte-parole de l'opposition pour les Affaires Sociales, considéra que le rapport du Pr BERAUD "était une provocation totalement inadmissible". Approuvant "le très ferme rappel à l'ordre du Président MALLET" (voir ci-après), M. J.Y. CHAMARD estimait "indispensable de rétablir un véritable climat de confiance entre les différents acteurs du système de santé"Quotidien du Médecin n° 5028 du 17 septembre 1992.
Pour M. René TEULADE, le ministre en exercice, "ce dossier doit être traité sereinement car les médecins ne sont pas des délinquants et je désire avancer avec eux et non contre eux"Le Monde du 12 septembre 1992 et le Quotidien du Médecin déjà cité.
Le rappel à l'ordre du Président de la CNAM
Sous la manchette fracassante du Quotidien du Médecin (n°5027 du 16 septembre 1992) "MALLET fustige BERAUD ", la lettre du 14 septembre 1992 de M. Jean Claude MALLET au Pr BERAUD fut publiée intégralement.
"Monsieur le Médecin-Conseil National,
J'avais donné mon accord pour participer à la manifestation de sympathie organisée à votre intention à l'occasion de votre départ des fonctions de Médecin Conseil, à l'issue de la Commission de l'Assurance maladie du 15 septembre 1992. Je me vois dans l'obligation de renoncer à cette réception pour marquer ma désapprobation à l'égard des propos que vous avez tenus dans le cadre d'un "pseudo-testament" très largement diffusé aux médias. Je considère que la première des courtoisies eut consisté à m'informer auparavant dans la mesure où vous étiez toujours en fonction au moment de cette large diffusion.
Est-il nécessaire de noter la maladresse politique de faire vos déclarations dans le cadre de la campagne d'information que nous venons de lancer. Cet amalgame sera loin de faciliter les choses. Cette maladresse se double d'une provocation.
Mieux que quiconque, vous devriez savoir, même si vous n'avez jamais participé directement aux négociations conventionnelles, combien l'équilibre politique aujourd'hui - encore plus qu'hier - est fragile et que la moindre déclaration intempestive risque de perturber sérieusement les relations avec les médecins et d'une façon générale avec les professions de santé.
Je veux bien croire que tout ce qui est exagéré est insignifiant, mais je pense que le droit de réserve s'impose à tous et sans aucun doute aux Médecins – Conseils Nationaux dont je suis obligé de noter qu'il ne s'agit pas de leur qualité première, sachant que ceux qui s'expriment doivent traduire le plus fidèlement possible la politique générale définie par le Conseil d'Administration et s'abstenir d'exprimer une position personnelle ou de traduire des états d'âme.
Je vous prie de croire, Monsieur le Médecin-Conseil National à l'expression de mes salutations distinguées. "
Signé : le Président, Jean Claude MALLET.
 
La critique objective de Claude LE PEN
Le professeur d'Economie de la Santé à l'Université PARIS IX Dauphine a estimé que "jeter le discrédit sur l'ensemble d'une profession sous prétexte de pratiques frauduleuses me semble inutile et dangereux. Inutile parce que ce type de démarche risque de provoquer le raidissement de toute une profession et de mettre en péril le nécessaire dialogue entre les partenaires. Dangereux parce qu'il est faux que les accusations portées concernent la majorité des médecins."
"Ce qui paraît malsain dans cette affaire, c'est le transfert de certains faits individuels à une notion collective de fraude ou d'abus. Il y a par ailleurs une assimilation abusive entre des fraudes qui relèvent de la loi et les abus qui eux relèvent davantage d'une certaine conscience morale de la pratique professionnelle. Il y a là à mon sens, un déficit d'analyse et d'explication."
Sur les exemples chiffrés tirés du rapport BERAUD, M. Claude LE PEN estime "qu'on ne connaît pas la méthodologie employée Il faut savoir que bien souvent des études de ce genre sont extrêmement contestables. Qu'il s'agisse d"une prescription pharmaceutique ou d'un examen, il est facile de dire, après coup, qu'ils étaient inutiles… Ce qui est contestable, c'est le climat de suspicion qu'ils (les propos du Pr BERAUD) suscitent. Les pratiques médicales dépendent de tout un contexte particulièrement complexe. Je citerai simplement les dysfonctionnements des modes de tarification, les lacunes du contrôle médical, les anomalies de Nomenclature, et n'oublions pas de le rappeler, l'attitude même des patients. Faire abstraction de ce contexte pour monter en épingle la seule pratique des médecins me semble plus relever d'une démarche émotive que d'autre chose…" Quotidien du médecin n°5027 du 16 septembre 1992 .
Le Professeur BERAUD persiste et signe
Interrogé par "Le Généraliste" n°1374 du 25 septembre 1992   sur le retentissement médiatique de son rapport, le Pr Claude BERAUD n'a rien retiré de ses propos tout en précisant : "J'ai bien distingué ce qui était excès et abus. Je n'ai parlé de délinquances qu'à propos des fraudes. Il est par exemple tout à fait clair que les médecins généralistes qui sont à l'origine d'excès, le sont de manière absolument non intentionnelle…". A contrario, on peut supposer que seuls les spécialistes étaient concernés. Mais il confirme plus loin sa position : "Je ne me rétracterai pas, il n'en est absolument pas question. Je ne reviendrai pas sur le fait que multiplier par deux les cotations de la Nomenclature, c'est pratiquer une sorte de laxisme qui rejoint la délinquance."
Cette réflexion vise-t-elle les spécialistes et parmi eux, les chirurgiens qui "doublent" leurs cotations ? Toutefois, le Pr BERAUD reconnaît que "la Nomenclature a besoin d'être revue, je ne le conteste pas"…Pour une fois, nous serons d'accord avec lui, mais pourquoi avoir attendu si longtemps en laissant les chirurgiens pendant tant d'années en dehors de la Commission de la Nomenclature ?
Notre opinion
Au moment de quitter ses fonctions - par anticipation -, le Pr BERAUD a délivré dans ce rapport-réquisitoire un message qui comporte, malgré ses outrances et son caractère collectif, un certain nombre de vérités que les chirurgiens avaient eux-mêmes dénoncées comme l'inutilité et parfois même la nocivité d'un certain nombre d'explorations fonctionnelles au détriment de l'examen clinique presque oublié aujourd'hui. Il ne faut pas oublier que ces explorations fonctionnelles sont des actes répétitifs que le Pr. BERAUD connaît bien en sa qualité de spécialiste gastro-entérologue, par opposition aux actes chirurgicaux qui sont ordinairement uniques et non répétitifs…
Mais parmi les causes profondes de la dérive de certaines pratiques professionnelles, il faut placer la sous-tarification scandaleuse de certains actes par comparaison avec les tarifs de responsabilité des différents systèmes d'assurances étrangers.
On ne retiendra de ce rapport que la mise en accusation globale et maladroite d'un corps médical en voie de paupérisation et en butte aux difficultés croissantes d'un exercice professionnel soumis à des contraintes administratives ou conventionnelles de plus en plus lourdes.
Ces accusations mettent en cause pêle-mêle l'Ordre des médecins qui ne serait pas assez sévère, et le corps des médecins-conseils, qui, en contact direct avec leurs confrères libéraux, connaissent dans leur majorité leurs difficultés quotidiennes mais qui soumis à leur hiérarchie, font peser, parfois malgré eux, le poids d'une réglementation inadaptée.
En fait, le Pr. BERAUD aurait pu saisir l'occasion de montrer les imperfections du système qui enferme indistinctement dans la même architecture conventionnelle le gros risque et le petit risque, la médecine générale et la médecine spécialisée, ambulatoire ou tributaire d'un plateau technique lourd, l'acte unique thérapeutique et l'acte répétitif de diagnostic ou d'exploration fonctionnelle.
Au lieu de mettre l'accent sur l'incompétence ou l'appât du gain de certains, et se comporter comme "l'homme aux rubans verts de MOLIERE, Alceste haineux des médecins" selon l'expression de Luc RICHARD Le Généraliste n° 1372 du 18 septembre 1992 , le Pr. BERAUD aurait été plus avisé de proposer une formule mieux adaptée pour éviter de renforcer les contrôles et les sanctions éventuelles.
Mais, surtout, le Pr. BERAUD en se bornant à "faire la chasse au gaspi" indiscutablement utile, n'a pas évoqué les raisons d'une croissance inexorable des dépenses de santé lié au niveau de vie de la population, à l'accroissement de la longévité, aux progrès techniques fulgurants dans tous les domaines, en particulier en chirurgie, et enfin aux souhaits des malades qui exercent une pression constante sur les professions de santé.
Enfin, rappelons que les "décideurs" exigent pour eux-mêmes et leurs familles :
  • les soins les plus rapides et les plus efficaces,
  • pris en charge en totalité par la collectivité,
  • quel qu'en soit le prix,
donnant ainsi l'exemple d'un décalage important entre la classe dirigeante et l'ensemble de la population.
Ces "responsables" se souviendront des avertissements qu'ils avaient négligé d'entendre lorsque viendra le moment, toujours redouté, de s'allonger sur une table d'opération et qu'ils ne trouveront plus en France, le chirurgien compétent et expérimenté sur lequel ils croyaient pouvoir toujours compter Cahiers de Chirurgie, n° 84 – 4 / 1992, p. 137-14 8.