Ces textes ont été rédigés, rappelons le, en 1979. Certaines réformes sont intervenues depuis lors mais les conclusions désabusées du Professeur de médecine et du Médecin-conseil, par ailleurs responsable syndical, sont toujours d'actualité.
L'absentéisme
L'absence au travail rémunéré, non médicalement justifiée, est devenue depuis l'origine de la protection sociale, la principale critique adressée par le patronat au corps médical considéré - n'ayons pas peur des mots- comme "complice d'une escroquerie" lorsqu'il accorde un peu trop généreusement des arrêts de travail sollicités pour convenances personnelles du salarié.
Il convient d'envisager trois cas bien distincts :
1°) Le diagnostic n'est pas formellement établi. Le médecin n'est pas en mesure, sur un premier examen, d'affirmer devant un ou plusieurs symptômes, l'organicité d'une maladie. Des examens complémentaires et un nouvel examen clinique quelques jours plus tard permettront d'éclairer le diagnostic. Dans ce cas, l'arrêt de travail est indiscutablement justifié, comme sa prolongation en cas de nécessité. A quelles sanctions ce praticien ne s'exposerait-il pas s'il refusait un arrêt qui serait ultérieurement justifié par l'apparition de signes cliniques révélateurs d'une maladie en cours d'incubation par exemple ? Déclarer sans preuve qu'il s'agit d'un trouble fonctionnel bénin en l'absence de toute symptomatologie et renvoyer au travail un malade porteur d'une forme atypique d'infarctus, par exemple, exposerait de la même façon le praticien négligeant.
2°) Lorsque le malaise allégué par le patient est bien connu - lombago récidivant ou crise d'épilepsie par exemple - il suffira au praticien de dépister par des manoeuvres simples la tentative de simulation dans le but d'obtenir le certificat espéré. Le praticien agit alors selon sa conscience et l'autorité qu'il inspire au consultant. Il peut en effet toujours persister un doute derrière une symptomatologie bien assimilée et la réalité d'une pathologie nouvelle.
3°) La profession et le statut social ont une influence sur le comportement du patient. J'ai en effet eu maintes fois l'occasion au cours d'une longue carrière d'observer deux cas schématisés de la façon suivante :
Il s'agit de deux femmes du même âge et de même constitution, ayant subi dans des conditions identiques une hystérectomie totale programmée pour volumineux fibromes non compliqués.
La première, commerçante, avait choisi de se faire opérer en début de mois. Sortie vers le 12ème jour, elle refuse l'arrêt de travail de 1 mois proposé habituellement. Elle ne veut qu'un arrêt de 10 jours au maximum, parce que, dit-elle, " en mon absence, ma vendeuse est toute seule et je dois par ailleurs, faire toutes mes échéances de fin de mois ". Elle n'a donc prévu qu'un arrêt de 3 semaines en tout, malgré les conseils de prudence qui lui ont été prodigués par son chirurgien.
La seconde, institutrice, préfère entrer en clinique au lendemain de la Pentecôte. Malgré des suites aussi simples que dans le cas précédent, elle se sent " trop fatiguée pour regagner son domicile " et repousse sa sortie jusqu'au 20ème jour. Elle demande un arrêt de travail d'un mois qu'elle fera prolonger jusqu'à la veille de la distribution des prix, à laquelle elle assistera, ayant ainsi été considérée comme ayant repris son travail. Les vacances d'été passées, elle consulte la veille de la rentrée scolaire et se déclare incapable de reprendre la classe. Elle sollicite un autre arrêt de travail pour subir des examens complémentaires, mettant ainsi dans l'embarras le chef d'établissement scolaire qui doit d'urgence pourvoir à son remplacement.... Au mieux, elle reprendra son activité, à la Toussaint, voire après les vacances de Noël.
La durée totale de l'arrêt de travail peut atteindre dans le premier cas, 3 semaines et 6 mois dans le second.
J'ai été témoin de ces deux types de situation et de leurs conséquences socio-professionnelles. On sait qu'un cadre, un membre d'une profession libérale, un commerçant ou un artisan écourte le plus possible ses durées d'arrêt de travail. A l'opposé, un agent de la fonction publique utilise toutes les largesses de son statut parfois appelées "le droit à la maladie !"
La position du corps médical face à ces demandes pressantes est toujours délicate car il sait qu'en cas de refus de sa part, le salarié désireux de "s'arrêter" trouvera toujours le moyen de l'obtenir même s'il n'a pas de dossier, ce qui a l'avantage de gagner un certain délai si le praticien public ou privé demande la communication d'un dossier comportant les antécédents médicaux d'un patient.
Le carnet de santé
Le carnet de santé qui fut lancé à grands frais et avec un certain faste médiatique par Jacques BARROT et Hervé GAYMARD en novembre 1996 consistait à remettre à chaque assuré un document sur lequel devait être inscrit sommairement les antécédents médicaux, l'indication des principaux examens effectués et des traitements prescrits dans le passé.
Ce carnet de santé de l'adulte s'inspirait du carnet délivré à la naissance qui indiquait et indique toujours les principales étapes de la surveillance médicale du nourrisson et de la première enfance : poids de naissance, incidents, premières maladies, vaccinations, etc...
La perception des allocations familiales est subordonnée à la présentation régulière de ce carnet dûment tenu à jour et certifié régulièrement par le médecin ou la sage-femme.
Sauf exceptions, l'usage a amplement montré qu'au bout d'un certain temps, n'étant plus soumis à aucun contrôle, le carnet de santé de l'enfant n'était plus utilisé quand il n'était pas tout simplement perdu.
L'idée de le prolonger par un carnet d'adulte n'avait pas d'autre but que de "responsabiliser" son titulaire dans la "gestion de sa santé"..! En réalité, il devait permettre, dans un but évident d'économie, d'éviter les prescriptions redondantes et un certain "tourisme médical", chaque praticien étant censé être informé du passé proche ou lointain de son patient.
Deux écueils
Certains praticiens invoquèrent le risque de violation du secret médical, dernier rempart auquel se raccrochent les ultimes défenseurs d'une Charte déjà bien malmenée. Sans aller jusqu'aux excès de plume de certains fondamentalistes voir p.ex., le courrier des lecteurs du n° 5942 du Quotidien du médecin du 4 novembre 1996 , il faut bien reconnaître que le secret médical est largement "partagé", à commencer par le malade lui-même qui le révèle quand ce n'est pas sa propre famille.
D'autre part, en se bornant à inviter chaque titulaire du carnet à le présenter spontanément à tout praticien, le gouvernement comptait sur le civisme et l'intérêt personnel bien compris de chaque assuré. C'est pourquoi, pour ne pas se montrer trop contraignant, face à une opinion publique qui commençait à murmurer contre le plan JUPPE, les deux ministres se contentèrent de faire appel à la bonne volonté individuelle, en écartant délibérément toute idée de sanction en cas de non présentation du document. Résultat : un échec total et cuisant. Beaucoup d'efforts, de discours de persuasion n'aboutirent qu'à montrer un réelle faiblesse et une perte d'autorité de la puissance publique.
Si au contraire, s'inspirant du carnet de santé de l'enfant, le texte instituant le carnet de santé de l'adulte avait prévu la simple menace d'une sanction financière, comme par exemple, une diminution de remboursement de l'acte suivant la non présentation du fameux carnet, il est probable que chacun se serait empressé de produire son carnet.
Craignant d'être taxé d'autoritarisme, le gouvernement a préféré adopter un profil bas...
Beaucoup de temps et d'argent ont été gaspillés en pure perte. Il aurait été moins humiliant de ne rien entreprendre dans ce climat défavorable et s'en remettre à la carte Vitale 2... lorsqu'elle sera enfin opérationnelle (Elle ne l'est toujours pas fin 2006 !).
Le dossier médical
J'ai été assez surpris du succès remporté par la notion nouvelle de dossier médical qui est paré de toutes les vertus et qui serait censé générer d'importantes économies en évitant de répéter des examens multiples et coûteux.
L'échec du carnet de santé institué à grands frais 8 ans plus tôt par Jacques BARROT et Hervé GAYMARD, qui n'était malheureusement pas obligatoire, aurait pourtant du rendre, à mon avis, les décideurs plus circonspects. Certes, l'informatique qui n'était pas encore introduite dans cette nouvelle formule aurait pu en faciliter l'usage. Quoi qu'il en soit, ce dossier médical partagé semble difficile à mettre en œuvre pour des raisons techniques et aussi en raison des exigences de la CNIL portant sur le secret médical. Ainsi, par exemple, on comprend mal pourquoi les médecins du travail seraient les seuls, pour l'instant, à se voir refuser l'accès à ce document, sous prétexte qu'il pourrait exciter la curiosité des employeurs !
De plus, on voit mal comment toutes les données médicales pourraient être tenues à jour compte tenu de la circulation quotidienne des patients et de la multiplicité des divers professionnels de santé appelés à apporter leurs concours sur de nombreux sites publics ou privés dont les structures sont diverses.
Le dossier médical d'un malade peut être correctement suivi dans un établissement d'hospitalisation mais comment sera-t-il complété pendant la consolidation d'une fracture ou la surveillance carcinologique d'une tumeur du sein ou pour une ALD nécessitant de multiples concours de spécialistes différents ?
Une dernière question : le dossier médical partagé pourra-t-il contenir toutes les informations techniques sur la santé d'un malade, sur son psychisme, sur ce qu'il sait de la gravité de son cas, toutes ces informations pouvant être accessibles à n'importe quel membre des professions de santé avec ou sans précautions... ?
Attendons pour voir comment une idée théoriquement séduisante peut s'appliquer sans surprise et répondre pleinement aux objectifs de ses concepteurs.
Résultat : devant tant d'obstacles et de retards accumulé, le projet du dossier serait abandonnné (NDLR, mai 2008).