Les soins médicaux au sens large vont continuer à coûter de plus en plus cher du fait des progrès techniques, de l'accroissement de la population qui souhaite avoir accès plus largement et plus rapidement aux soins, de l'augmentation de l'espérance de vie (en moyenne, un an tous les 4 ans en France), précisément grâce à l'efficacité des soins et de la prévention.
A quelques nuances près, ce constat s'observe dans la plupart des pays industrialisés réputés riches. Le secteur médico-social ou tertiaire est une industrie de main d'œuvre hautement qualifiée, créatrice d'emplois et de carrières professionnelles à forte valeur ajoutée mais dans un secteur non marchand. Il n'a pas encore été possible d'évaluer les retombées économiques pour la société du retour à la santé d'un malade redevenu productif.
La place de la Santé au sens large dans l'économie générale s'étend progressivement dans les secteurs de la consommation, de la distribution, de la construction, de l'ingénierie, de l'enseignement et de la recherche.
Deux aspects de l'Assurance maladie
L'Assurance maladie comporte de nombreux sujets de réflexion parmi lesquels on peut isoler deux volets importants qui se complètent par certains aspects :
  • l'un concernant les relations entre le corps médical et les assurés,
  • l'autre le contrôle médical des caisses.
Le premier volet sera illustré par les réflexions du Pr. Jean Paul ESCANDE, et le second par le point de vue d'un médecin-conseil et son expérience du contrôle médical. La responsabilité des propos tenus par ces deux intervenants involontaires et indépendants leur appartient. Mais il m'a semblé intéressant de les rapporter ici en raison de leur pertinence et de leur sincérité.
Le mode de rémunération des médecins a beaucoup évolué au cours de l'histoire.
A l'image des monarques qui entretenaient auprès d'eux, un ou plusieurs médecins et parfois leurs proches, certaines grandes familles s'attachaient les services d'un médecin auquel ils offraient le gîte et le couvert et qu'ils rémunéraient à l'année, au forfait ou selon les usages locaux, "sur la base de pensions plus ou moins généreusement accordées". Pendant le XIX ème siècle, l'officier de santé ou le médecin qu'on était allé quérir, étaient honorés en espèces en fin d'année, parfois sur présentation d'une note. A la campagne, leurs services étaient souvent payés en nature, selon l'importance estimée du service rendu.
Avec l'apparition progressive de la petite bourgeoisie, on est passé insensiblement d'une forme de rémunération s'apparentant au denier du culte à une rémunération à l'acte en passant parfois selon certains usages locaux, à un système collectif par capitation institué avec l'apparition du mouvement mutualiste, en particulier dans les villes.
C'est la loi de 1930 qui a consacré ce qu'il est convenu d'appeler la Charte médicale avec ses quatre principes de base :
  • Le respect rigoureux du secret médical, inviolable comme le secret de la confession dont il s'inspire directement.
  • Le libre choix du médecin par le malade qui était rendu possible par le développement numérique du corps médical, disposant par ailleurs de la liberté de son installation.
  • La liberté thérapeutique, le médecin est seul juge du choix du traitement qui lui parait convenir, en fonction de ses connaissance et de l'état de son patient
  • L'entente directe, sans intermédiaire entre le patient et le médecin pour déterminer le montant des honoraires, à la suite de chaque prestation.
  • Les Caisses d'Assurance maladie ont assez bien accepté les deux premiers principes, souhaité qu'à efficacité égale les médecins choisissent le traitement le moins onéreux pour l'application du 3ème principe, mais ont toujours contesté le 4ème principe - jugé unilatéral - de la libre fixation du montant des honoraires des médecins et ne permettant pas une indemnisation rationnelle des assurés, c'est à dire "rationnelle suivant des pourcentages légaux".
De toute manière, selon l'idéologie dominante, le profit est coupable, à plus forte raison sur la santé. Seule, la gratuité est moralement irréprochable.
Qu'en est-il aujourd'hui au début du XXI ème siècle ?
La Charte médicale était conçue en fonction du mode d'exercice du médecin généraliste, professionnel en cabinet libéral, comparable à celui d'un avocat, d'un expert-comptable ou d'un courtier d'assurances par exemple.
A côté du généraliste, de nombreuses spécialités se sont individualisées (de 5 en 1945, la CNAM n'en compte toujours que 24 depuis 1975 tandis que l'Ordre en reconnaît 53 et que J. de KERVASDOUE en dénombre plus de 100 en 2 000).
Il aura fallu attendre 37 ans et la 7ème Convention de 1997 pour séparer les généralistes des spécialistes, indistinctement mélangés, depuis les premières Conventions départementales de 1960.
Certains médecins ont constitué des cabinets de groupe. Des spécialistes regroupés autour d'un plateau technique lourd, exercent en équipe dont la rémunération est à l'étude dans différents pays, sous la forme d'une tarification forfaitaire par groupe de pathologies (voir la formule utilisée avec succès depuis 1987 au Centre cardio-thoracique de MONACO in Cahiers de Chirurgie – N°65-1/1988 p. 87).
A côté du corps médical libéral, diverses formes d'exercice sous subordination administrative coexistent, à temps plein ou à temps partiel, dans des structures publiques ou privées.
Enfin, la démographie médicale est passée de 25.000 médecins en 1945 à 190.000 en 2000 tandis que la population progressait de 45 millions à 60 millions.
Ces divers événements et l'évolution des mentalités ont insidieusement influencé les principes de la Charte médicale pourtant solennellement gravés dans le marbre de la loi CHABAN-DELMAS du 3 juillet 1970 toujours en vigueur, n'ayant, sauf erreur, jamais été abrogée.
Le secret médical est devenu "le secret partagé". Il est de moins en moins respecté, à commencer par le malade lui-même qui n'hésite plus à révéler sa propre aventure médicale, sauf pour certaines maladies contagieuses supposées vénériennes comme le SIDA ou les MST. Il demeure, en théorie du moins, la dernière ligne de défense du corps médical.
Le libre choix fut, dès la première Convention de 1960, subtilement mais délibérément violé par un remboursement différencié selon que le médecin choisi était ou non conventionné. Graduellement, le malade qui s'avisera de choisir un des rares médecins non conventionnés ne sera remboursé que sur une base de plus en plus symbolique fixée une fois pour toutes voici 47 ans et jamais réévaluée depuis. Payant les mêmes cotisations que n'importe quel assuré, celui qui s’avise, même symboliquement, d’exercer son libre choix, est concrètement exclu du système !
La liberté thérapeutique principalement influencée par les progrès techniques comme par exemple l'apparition de nouvelles molécules, se voit progressivement freinée soit par un remboursement réduit, soit par des recommandations telles que les RMO destinées, après consultation d'instances professionnelles, à réduire la progression inexorable des dépenses de santé.
L'entente directe de la rémunération à l'acte devait fatalement, dans ce contexte, disparaître presque complètement sous une réglementation conventionnelle contraignante avec l'aide d'un contrôle médical de plus en plus tatillon.
On semble s'acheminer vers un autre mode de rémunération mieux adapté à la nature du service rendu par le ou les médecins travaillant en équipe au service du malade, distinguant l'acte unique thérapeutique et l'acte répétitif d'exploration fonctionnelle. C'est ce que nous avions imaginé dès 1974 sous la dénomination de Convention Nationale tripartite de l'hospitalisation réunissant, dans le secteur libéral des cliniques privées conventionnées, les trois partenaires indissociables : l'assurance-maladie, les praticiens et les gestionnaires des établissements dont le corps médical n'a plus, sauf exception, la propriété de l'outil de travail.