Le Docteur Charles DESCOURS, Sénateur honoraire de l'Isère, chirurgien lui-même, a été chargé par le Pr. Jean François MATTEI, nouveau ministre de la Santé, de la Famille et des personnes handicapées, responsable de l'Assurance maladie dans le premier gouvernement RAFFARIN, d'établir un rapport sur la démographie médicale après avoir achevé celui consacré à la permanence des soins.
A la suite du rapport DOMERGUE-GIUDICELLI sur l'avenir de la chirurgie, le rapport DESCOURS devait analyser les causes du déclin de la chirurgie française et rechercher, presque en urgence, les remèdes à cette situation qui commençait à alarmer les pouvoirs publics... 30 ans après les premières alertes du Collège National des Chirurgiens français.

 Analyse et conséquences

Avec le recul du temps, l'UCCSF, héritière du Collège, a pu analyser l'enchaînement historique des faits suivants :
En appliquant trop rapidement la Réforme DEBRE de 1960, on a commis l'erreur de pourvoir pour de nombreuses années, les postes les plus prestigieux en CHU par le sommet de la pyramide, laissant de nombreux chefs de clinique sans espoir d'être intégrés jusqu'à ce que la base se libère.
En généralisant le plein-temps au détriment du temps partiel, la Réforme a parallèlement déséquilibré l'hôpital avec des rémunérations trop basses, rendant plus attractive l'hospitalisation privée, et creusé entre les deux secteurs un fossé de plus en plus profond.
Attiré intellectuellement par les spécialités chirurgicales qui exigent souvent de gros sacrifices personnels, le jeune chirurgien espérait une compensation matérielle que les carrières publiques ne lui offraient pas, surtout en hôpital général où les rémunérations ne progressent statutairement qu'à l'ancienneté et d'une façon égalitaire strictement uniforme pour toutes les spécialités, chirurgie incluse !
C'est pourquoi, un certain nombre de chirurgiens soit se détournèrent, soit quittèrent l'hôpital public pour une carrière libérale en apparence mieux rémunérée et mieux considérée, mais en apparence seulement puisque les cliniques, soumises à des contraintes de plus en plus lourdes non compensées par un prix de journée délibérément insuffisant, furent obligées pour se maintenir en survie d'imposer, sous des formes diverses, un soutien financier à ses praticiens.
Cette crise hospitalière est restée dans l'intervalle longtemps masquée par l'arrivée progressive de praticiens venus du tiers monde pour occuper les postes hospitaliers publics restés vacants après chaque opération de recrutement. Bien qu'ils n'aient pas suivi en règle générale le cursus formateur habituel et qu'il soient souvent non qualifiés selon les règles ordinales, ces candidats "à diplômes étrangers" étaient accueillis avec empressement par les responsables administratifs locaux parce qu'ils comblaient les vides, se montraient peu exigeants, et permettaient ainsi à l'hôpital public de poursuivre ses missions.
Lorsqu'une clinique cesse toute activité, quelle qu'en soit la cause, le ou les spécialistes chirurgicaux se tournent aujourd'hui vers l'hôpital dont ils étaient ou sont tous issus. Encouragés par les pouvoirs publics, et en dépit des nombreux postes vacants régulièrement publiés au J.O., ils se heurtent aujourd'hui à un refus général au motif, toujours exprimé verbalement par la C.M.E., que le poste convoité est réservé de longue date à un « faisant-fonction », parfois même en cours de qualification.
Leur compétence et leur expérience professionnelle dont l'hôpital public pourrait s'enrichir se heurtent à un mur local infranchissable et solidaire que personne ne se risquerait à forcer…!
Les jeunes se détournent progressivement de la chirurgie en disant "Pourquoi se donner tant de mal pour un avenir si médiocre ?"
Lorsque les dernières générations de chirurgiens "formés à l'ancienne" encore en activité auront pris leur retraite, la relève n'étant pratiquement plus assurée, la chirurgie digestive étant la première touchée, le cri d'alarme lancé à maintes reprises depuis 1975 par le Collège puis par l'UCCSF et repris dans le rapport DOMERGUE, s'adressant cette fois à la population
"PAR QUI SEREZ-VOUS OPERES DEMAIN ?"
sera repris en cœur par une population encore mal informée.
La chirurgie française, qui a maintenu jusqu'à présent son haut niveau traditionnel de qualité et de fiabilité, aura soit émigré à l'étranger, soit purement et simplement disparu, comme l'anesthésie-réanimation et la gynécologie obstétrique pour les mêmes raisons économiques.
Qui aurait imaginé que le pays où la coelio-chirurgie a été inventée (dans le secteur libéral, soit dit en passant) et qualifiée par des chirurgiens U.S. stupéfaits et enthousiastes de "second french révolution" traiterait si mal ses chirurgiens ?
Les solutions
Les remèdes sont simples mais n'atteindront leur plein effet que dans un délai de 5 ans au minimum pour le plus urgent, et de 15 ans pour le long terme, temps nécessaire à la formation complète d'un chirurgien.
Dans le domaine hospitalier public, les statuts du personnel médical doivent être remaniés :
L'avancement et par conséquent la progression des rémunérations sont établis à l'ancienneté en vertu du principe d'égalité selon les titres et les catégories. Il n'est malheureusement pas tenu compte des charges de travail très différentes d'une spécialité à l'autre. Les profils de carrières et les activités pendant le jour et la nuit d'un chirurgien et d'un rhumatologue ne sont pas comparables.
Il faudrait permettre d'intégrer, dans une filière nouvelle comme "un tour extérieur", sur des postes créés à cet effet, les candidats venus de l'extérieur, par exemple du secteur libéral dont la clinique a déposé son bilan, au titre d'un reclassement professionnel, à temps plein ou à temps partiel, ou même parcellaire, après un nouveau contrôle des connaissances acquises, avec une reconstitution de carrière prenant en compte les temps d'activité homologués dans la spécialité.
Une priorité devrait être accordée pour tous ceux qui se sont donnés la peine de passer en cours ou en fin de carrière le concours de PH et qui ont été purement et simplement éconduits par des instances locales protectionnistes.
Dans le domaine libéral de la chirurgie de ville, l'UCCSF milite depuis 1974 pour un accord de branche ou contrat de pratique professionnelle centré sur le Plateau technique Lourd (PTL), négocié et conclu, avec l'agrément du Ministère, dans un cadre loco-régional entre les trois groupes de partenaires indissociables :
  • l'Assurance-maladie, les Mutuelles, les assureurs, les organismes de protection sociale
  • les spécialistes exerçant en équipe, et en particulier les anesthésistes et les chirurgiens
  • les gestionnaires des PTL (FHP, Croix Rouge, FEHAP, Mutualité, Collectivités)
Le sauvetage de la chirurgie libérale passe par un accord limité mais urgent sur la seule lettre-clé KCC accompagné d'un échéancier de revalorisation rapide.
Dans les deux secteurs, à supposer que la chirurgie soit de nouveau attractive grâce à une revalorisation substantielle des rémunérations publiques, privées ou mixtes, si cette spécialité, qui exige tant d'efforts et qui a reçu si peu en échange, surmonte sa crise actuelle, il faudrait revoir sérieusement son mode de formation et revenir à la sélection par concours comme autrefois. A l'exception de la médecine, toutes les grandes Ecoles ont prudemment conservé ce mode de recrutement qui a fait ses preuves.
Est-il utopique d'envisager le retour à un véritable Internat, lui-même précédé d'un véritable Externat ou toute formule approchante susceptible de rétablir le niveau des connaissances théoriques et pratiques nécessaire à l'exercice de la chirurgie, quel que soit le statut public ou privé de l'établissement qui gère son PTL ?
Faut-il rappeler que toute malfaçon d'un acte chirurgical, unique par définition, entraîne parfois des reprises multiples dont les conséquences physiologiques, psychologiques et financières sont toujours lourdes ?
Au moment où l'accent est mis sur la prévention des accidents de la circulation, faut-il rappeler que certaines portions d'autoroutes sont aussi dangereuses par l'accident que par l'intervention urgente qui lui fait suite ?
Des facteurs aggravants
Le rapport évoque en outre certains facteurs aggravants : le vieillissement du corps médical, sa féminisation accrue, le comportement des plus jeunes qui souhaitent bénéficier de la réduction générale du temps de travail pour augmenter la part des loisirs, la pénibilité du travail et la lourdeur des charges financières et fiscales avec des rémunérations fixées à un niveau délibérément insuffisant, le vieillissement de la population entraînant un accroissement de la consommation de soins.
De cette liste, on retiendra outre la diminution du sentiment d'altruisme et de générosité qui traditionnellement inspirait les générations médicales des XIXème et XXème siècles dans le choix d'une orientation professionnelle, l'absence de compensations financières de la part des organismes sociaux qui ont longtemps considéré que l'accroissement des dépenses d'assurance-maladie était principalement du à une offre de soins trop abondante et mal contrôlée. C'est pourquoi le numerus clausus été régulièrement freiné à la demande des Caisses et la valeur des actes - même uniques et non répétitifs - systématiquement réduite.
Il faut ajouter à cette liste la judiciarisation extensive de l'exercice professionnel, entraînant des charges exorbitantes d'indemnisation que les assurances ne peuvent même plus couvrir, au point de résilier les contrats qu’elles ont souscrits !
Les spécialités chirurgicales citées plus haut sont plus particulièrement exposée à ces risques nouveaux. Il ne faut pas s'étonner de leur déclin.
La responsabilité conjointe des pouvoirs publics et des organismes de protection sociale est d'ores et déjà lourdement engagée.