Cette lamentable affaire dont le Collège National des Chirurgiens Français s'est préoccupé pendant plusieurs années, depuis sa création en 1970 jusqu'à sa disparition en 1978 est instructive à plusieurs titres.
En voici un bref résumé chronologique :
En 1950, un chirurgien parisien, le Dr. Pierre BARBE se fixe après son internat à Bourg St-Maurice. Il est nommé en 1951 à l'hôpital avec clinique ouverte. Ses succès opératoires contribuent à l'essor des stations de ski (Méribel, Courchevel, Tignes, Val d'Isère, etc) qui convergent sur Bourg St Maurice. L'hôpital devient vite insuffisant et le Dr. BARBE réclame en vain, sa modernisation.
Il propose même de prendre le plein-temps avant la lettre.
Devant l'inertie des pouvoirs publics, il envisage de construire une clinique moderne pour faire face aux besoins d'une population touristique et sportive en pleine expansion.
La CFDT locale s'émeut Voir Cahiers de chirurgie 1ère année n°3, 3ème trimestre 1972, p.69-70 et n°5, 2ème année, 1er trimestre 1973, p.97-98   et les autorités administratives refusent tout d'abord l'autorisation demandée. Les années passent et il fallut deux catastrophes successives En 1965, chute d'un car d'enfants dans un ravin du Petit St Bernard et en 1970, l'avalanche meurtrière de l'U.C.P.A.   pour qu'on prenne enfin conscience du sous-équipement sanitaire de la région. Malgré l'opposition de la CFDT rejointe par la CGT-F.O. les pouvoirs publics accordent enfin le 20 décembre 1971, l'autorisation de construire mais en imposant au Dr. BARBE, non seulement des normes très contraignantes, mais encore 15 lits d'accouchement que le chirurgien – mais non accoucheur – ne sollicitait pas, et 4 lits de soins intensifs : dans l'esprit de la loi BOULIN, votée un an plus tôt, l' ensemble hospitalier de BOURG St-MAURICE pouvait constituer un très bon exemple et peut-être le seul de la "fameuse coordination entre les secteurs public et privé d'hospitalisation" en opérant dans ce cas particulier le transfert sur le secteur privé de certaines activités que le secteur public ne pouvait pas assumer convenablement.
Après avoir obtenu les concours financiers privés nécessaires et s'être endetté personnellement, le Dr. Pierre BARBE réalise en 18 mois un établissement de 55 lits ultra-moderne, parfaitement adapté à la chirurgie traumatique. Grâce à son héliport installé sur le toit, les blessés ramassés sur les pistes, sont en quelques minutes transférés dans la salle de déchocage, puis au bloc opératoire où l'intervention appropriée est effectuée par une équipe spécialisée dans les meilleures conditions techniques et de confort souhaitables.
La qualité des résultats opératoires et la réputation de cet établissement franchissent vite les frontières : des sportifs, viennent d'Allemagne, d'Autriche, d'Italie, du Canada et même du Japon dans la région qui s'équipe en proportion. Ils savent qu'en cas d'accident, ils recevront les meilleurs soins. La clinique comporte le plus bel équipement radiologique de la région et même en sous-sol une piscine chauffée de rééducation. Certains accidentés réparés en urgence sur place montrent leurs radios à leur chirurgien habituel à leur retour à Paris, à Amsterdam ou à Zürich, ils sont non seulement rassurés mais encore ils décident de revenir à BOURG St-Maurice se faire enlever le moment venu leur matériel d'ostéo-synthèse pour remercier et féliciter personnellement l'opérateur !
Lorsque l'impératrice d'IRAN vient faire du ski en France, elle choisit habituellement les pistes de Bourg St-Maurice et en cas de besoin, la clinique du Dr BARBE où le Préfet de la Haute Savoie l'accueille lui-même au nom de la République à sa descente d'hélicoptère…!
Ce succès irrite ceux qui n'ont pas désarmé et qui, pour des raisons purement idéologiques, n'admettent pas que le secteur privé, coupable par définition de profit, soit plus compétitif que le secteur public. C'est alors que commence une longue guerre d'usure qui conduira cette clinique à l'agonie puis à la mort de son patron.
Comment ?
Tout d'abord, les promesses publiques n'ont pas été tenues : la chirurgie et la maternité de l'hôpital n'ont pas été transférées à la clinique, mais au contraire réactivées par la nomination de praticiens plein-temps, par des consignes données à la gendarmerie, aux sapeurs pompiers d'amener prioritairement toutes les urgences à l'hôpital (pratiques d'ailleurs très courantes), et surtout par l'arme absolue des prix de journée.
Tandis que l'hôpital obtenait, sans difficulté, dès le 1er janvier 1978, pour un confort hôtelier qui ne pouvait pas se comparer à celui de la clinique, des prix de journée atteignant :
- chirurgie : en chambre commune 438,20 fr. et en chambre seule 482 fr.
- maternité : en chambre commune 453,80 fr. et en chambre seule 499,20 fr.
La clinique a ouvert ses portes en décembre 1973 avec un prix de journée prévisionnel pour janvier 1974 de 76 fr. (!) et n'avait péniblement obtenu pour février 1978 que 181,62 fr (220,95 fr. en chambre seule). Quant aux lits de réanimation, ils attendaient encore, au moment de la liquidation judiciaire, d'être fixés par la Caisse Rhône-Alpes qui en 5 ans n'avait pas encore pris de décision …!
L'hôpital n'ayant pas de service de réanimation, la Caisse manquait-elle d'élément de comparaison…? Il ne semble pas puisque la Caisse a fini par se décider à fixer un tarif à partir du moment précis où la nationalisation de l'établissement était devenue irréversible.
L'agonie
Le 15 Novembre 1977, le dépôt de bilan devenait inévitable et le long calvaire de l'agonie de la clinique BARBE commençait.
Déjà, le Collège était intervenu directement auprès de Mme Simone VEIL, ministre de la Santé, le 20 juillet 1977 et auprès de M. Raymond BARRE, Premier Ministre, le 6 août 1977. De nombreuses démarches furent tentées auprès des différents cabinets ministériels notamment avec M. Henri-Pierre CULAUD, et M. Raymond SOUBIE, en pure perte : tous les échelons responsables s'estimaient exactement informés par les nombreux rapports officiels qui gonflaient le dossier. Les solutions élaborées à Paris aux échelons les plus élevés (par exemple, le rachat de la clinique par le secteur public, avec réintégration de l'ensemble des personnels de la clinique dans l'hôpital) furent systématiquement amputées par les responsables locaux et départementaux. M. Michel BARNIER, jeune député R.P.R. de la Savoie, une fois élu, épousa le parti de l'Administration préfectorale et de la CFDT locale.
Seule de toute la grande presse, "l'AURORE" (4-5 et 6 avril 1978 et 18 juin 1978), sous la plume de Marc GOMBAUD, prit la peine d'informer l'opinion du drame qui se déroulait. La presse professionnelle (TONUS, Le Caducée, Panorama, Profils, le Quotidien du Médecin) fut beaucoup plus réceptive. Une réunion publique d'une centaine de personnes rassemblées le 29 avril 1978 à l'appel du Dr. B. SAVY, Président de l'UNAM, mit enfin la population au courant de la situation désespérée de la clinique. Une Association de défense de la clinique, présidée par M. AUBONNET, vice-président du Syndicat de la Haute Tarentaise se constitua. Des élus locaux libéraux tentèrent différentes démarches auprès du cabinet de Mme VEIL (M. Le DORE), chez M. ABADIE, le Préfet de la Savoie, auprès des parlementaires, du médiateur de la République et même à l'Elysée.
Le sort de la clinique était définitivement scellé et le Tribunal de Grande Instance d'Albertville ordonnait le 16 mai 1978, la vente de la clinique. Après avoir occupé les locaux pendant quelques jours pour défendre le droit au libre choix, l'Association de défense dut s'avouer vaincue. Evaluée à 16 millions de frs. (SARL comprise) la clinique a été rachetée par l'hôpital pour la somme dérisoire de 9.500.000 frs, somme qui ne désintéressait même pas tous les créanciers. On notera qu'avant l'intervention du Collège National des Chirurgiens Français, le prix fixé par M. REBUT, administrateur judiciaire, n'était que de 6.000.000 de frs…
Le ministère de la Santé a donné 3.500.000 de frs, sans même avoir pu imposer aux autorités locales, comme il en avait le pouvoir et le devoir moral, la réintégration du personnel et des médecins de la clinique ! Il faut bien savoir qu'en période électorale, et même après, le pouvoir central est sans effet sur la province…
Epilogue
Le Docteur Pierre BARBE, 57 ans, a dû abandonner le 15 Juin 1978 au soir, sur ordre de M. Jacques PESSON administrateur judiciaire signifié par lettre recommandée A.R. du 2 Juin 1978, une clientèle nombreuse et fidèle pour partir, ruiné, à la recherche d'un poste hospitalier. Il a fini par trouver un poste plein-temps au Centre Hospitalier d'AUXERRE où il mourut quelques mois plus tard, de chagrin.
La majoration de 20% du prix de journée qui selon M. Le DORE "ne pouvait être obtenue de la Caisse Rhône-Alpes et qui aurait permis d'équilibrer le budget de la clinique" fut portée, du jour au lendemain, sans aucune difficulté, à plus de 300% !
La réaction de M. Pierre GAXOTTE
Informé par la presse, M. Pierre GAXOTTE, membre de l'Académie Française, en profane éclairé, dans un article qui est paru en première page du FIGARO du 29-30 juillet 1978, a tiré la leçon qu'il convenait de retenir de ce drame navrant.
Que devient le libre choix des patients ? Où est l'intérêt de la médecine ? L'intérêt du malade ?
On peut ajouter que les promesses des décideurs sont sans valeur et que l'administration s'efforce, par une tendance idéologique profondément ancrée, de favoriser en toutes circonstances, le secteur public sécurisant et égalitaire au détriment du secteur libéral, coupable d'indépendance et de profit. 
Une dernière remarque
Dans l'Europe occidentale, les entreprises ont connu au XXème siècle deux grandes périodes : celle des nationalisations suivie par celle des dénationalisations.
Lorsqu'au lendemain de la 2ème guerre mondiale, la jeune république yougoslave procéda à la nationalisation de tout son appareil de production privée, les ex-propriétaires des hôtels, garages, usines, cliniques mêmes, furent invités à rester sur place, en qualité de gérants responsables. Cette mesure était à la fois humaine même si elle n'a pas empêché une certaine rancoeur, mais sur le plan de l'économie, elle s'est généralement montrée efficace puisque l'ancien propriétaire était nécessairement plus expérimenté qu'un décideur officiel parachuté sans aucune compétence. En outre, il était doublement stimulé à réussir, pour le principe et pour éviter toute sanction. Cette politique s'est révélée conforme à l'intérêt bien compris de l'entreprise et, au-delà, à celui de la collectivité.
Dans le cas de la clinique de Bourg St-Maurice, son promoteur et principal chirurgien, pourtant ancien chirurgien des hôpitaux publics n'a même pas été réintégré aussitôt dans un autre établissement public. Il a été purement et simplement chassé de sa clinique. Après son départ, d'après certains témoignages, l'établissement a été pendant un certain temps abandonné à lui-même…