En 37 ans de carrière chirurgicale, j’ai fréquenté un certain nombre d’établissements privés où j’ai exercé selon ce qu’il convenait encore d’appeler un mode libéral, tout en occupant parallèlement un poste hospitalier public à temps-partiel à l’Hôpital communal de Neuilly.
La plus grosse partie de mon activité libérale s’est déroulée dans les deux premières cliniques conventionnées de Neuilly  Certains ont pu rétrospectivement les considérer comme la première chaîne de cliniques !
"Jacques DULUD"
La Villa Chirurgicale du Bois de Boulogne appelée familièrement "Jacques DULUD", du nom de la rue de NEUILLY sur Seine où elle était située, au n°7.
Clinique Jacques DuludCette vaste clinique de 27 lits officiels avait une histoire, résumée au début de ce travail : ancien hôtel particulier cossu transformé, elle appartenait à un chirurgien nommé BAUSSENAT qui le premier, pendant la guerre de 1914-1918, osa enlever les éclats d’obus fichés dans le myocarde, exploit qui le rendit célèbre. J’ai vu effectivement une photographie montrant des poilus convalescents en promenade dans le petit parc qui entourait la clinique que son propriétaire avait mise à la disposition de l’Armée.
Agé d’une dizaine d’année, j’avais fréquenté autrefois cette clinique où ma mère avait été opérée par BAUSSENAT d’un fibrome suivi d’une transfusion, ce qui était considéré à l’époque (vers 1929/1930) comme un signe de gravité. J’ai gardé longtemps le souvenir et les odeurs de cette clinique lors de mes visites au chevet de ma mère. 
Jacques Dulud jardinA la mort de BAUSSENAT en 1942, la clinique Jacques DULUD fut rachetée en copropriété avec le Dr VROMET, radiologue, par Arnaud BRUNET qui, prisonnier, venait d’être libéré. Devant le succès remporté par sa formule conventionnée dans la modeste clinique de la rue des Entrepreneurs, interrompu par sa mobilisation, Arnaud BRUNET comptait reprendre et étendre ses activités dans un établissement plus vaste et incomparablement mieux équipé.
Jusqu’alors fréquentée par une clientèle huppée, la clinique Jacques.DULUD va lui offrir dès la fin de la guerre la nouvelle formule conventionnelle mise au point avec la clinique de la Compassion qui va bientôt réduire ses lits actifs et limiter ses activités aux consultations externes. Elle fermera définitivement ses portes en 1950.
Ste Odile
A cette date, ouvrait la clinique chirurgicale Ste Odile, située 50, Bd de la Saussaye avec les quatre religieuses de la Compassion. Cette seconde clinique, propriété également du Dr. Arnaud BRUNET, jumelée à la Clinique Jacques DULUD a aussi une histoire. Elle résulte en effet de la transformation d’un ancien orphelinat protestant où une trentaine d’enfants juifs âgés de 2 à 11 ans, séparés de leurs parents, furent déportés par les Allemands le 31 juillet 1944 Trois semaines avant la Libération de Paris. . Une plaque commémorative rappelle ce tragique événement.
Ainsi, j’ai eu l’immense privilège de concentrer simultanément la plupart de mes activités professionnelles sur 3 sites (les deux cliniques jumelles et mon activité hospitalière publique à temps partiel) dans la même commune !
Les autres cliniques chirurgicales
J’ai aussi fréquenté d’autres cliniques dont certaines, comme la plupart, ont disparu sous le pic des démolisseurs :
  • à NEUILLY la clinique d’Argenson, la clinique du Château, la clinique des Acacias, la clinique Ste Isabelle qui est une des rares rescapées,

  • à PARIS la clinique Rémusat (Paris 16ème), la clinique du Louvre (Paris 1er), la clinique Blomet (Paris 15ème), la Clinique Chasseloup-Laubat (Paris 15ème)

  • en BANLIEUE la Clinique Juliette de Wils à Champigny sur Marne où mon ami le Dr. Avignon m’avait demandé d’assurer l’urologie, la clinique de la Porte de Paris à St Denis.

  • en PROVINCE la célèbre clinique Ziegler à BELFORT où j’ai assuré plusieurs remplacements les mois d'été pendant trois années consécutives. A ANGERS dans une des meilleures cliniques de la ville où Maurice GAHINET m’avait demandé d’opérer sa mère avec mon matériel personnel !

Caractéristiques particulières
De ces diverses expériences, je crois qu’on peut affirmer qu’il existait une grande diversité entre les cliniques, même entre celles qui avaient une direction commune comme les trois cliniques d’Arnaud BRUNET.
Chaque établissement a sa propre identité et ne ressemble à aucun autre. Son implantation détermine souvent son type de clientèle. Sa direction impulse un style qui imprime sa marque sur tous les échelons du personnel. Chaque praticien contribue à son tour à créer un climat ou à induire une ambiance. Comme dans toute collectivité professionnelle, un seul élément peut perturber une bonne entente générale. Rares sont les gestionnaires qui ont simultanément toutes les qualités à la fois professionnelles et psychologiques requises pour conduire avec fermeté et souplesse un rassemblement de personnalités, de compétences ou de talents aussi disparates.
On comprend mieux les raisons pour lesquelles le plein-temps constitue parfois un handicap supplémentaire pour le responsable d’une structure lorsque les sentiments fermentent en milieu anaérobie. Le temps-partiel offre au moins la possibilité de s’aérer en changeant de milieu, même pour une brève interruption..
Epilogue
Les deux cliniques de Neuilly où j’ai passé la majeure partie de mon activité libérale en alternance avec l’hôpital de NEUILLY ont disparu à leur tour :
La première en 1972 par suite du décès de la Supérieure, mère VERONIQUE qui à la tête de sa petite communauté de 3 à 4 religieuses selon les époques, avaient assuré pendant 21 ans la gestion exemplaire des 30 lits de la Clinique Ste Odile. Mais la baisse du recrutement de l’Ordre de la Compassion de Domfront dont elles étaient originaires ne permettant plus de pourvoir à la succession de la Supérieure, il fallut se décider à fermer définitivement cet établissement. Vendu pour la valeur du terrain, un luxueux immeuble s’élève désormais à l’emplacement de la clinique, derrière sa grille et ses deux colonnes classées, vestiges du château de Louis-Philippe brûlé en 1848.
La seconde en 1986, lorsqu’après le décès du Dr. Arnaud BRUNET en 1977, qui m’avait proposé de lui succéder, la clinique Jacques Dulud fut vendue pour une somme dérisoire à un chirurgien hospitalier plein-temps de province qui voulait tenter sa chance dans le secteur libéral à NEUILLY dans un contexte économique déjà peu encourageant. Profitant de sa réputation, la clinique aurait pu poursuivre son activité après mon départ en retraite en 1985 après avoir atteint l’âge fatidique de 65 ans que je m’étais fixé impérativement. Quelques mois plus tard, en 1986, la clinique dont la clientèle s’était effondrée, fut, comme Ste Odile, vendue pour la valeur du terrain et un immeuble de luxe s’est édifié sur son emplacement en mordant sur le parc attenant.
J’ai assisté avec une profonde tristesse à la disparition à 14 ans d’intervalle de ces deux établissements. Sous les coups des engins de démolition, j’ai eu l’impression d’assister à mes propres obsèques...
J’ai gardé le souvenir amer d’un immense gâchis en songeant au travail accompli par tous les personnels au bénéfice d’une foule de patients et de leurs familles qui me demandent encore parfois des conseils et même des attestations que je ne peux leur fournir, mon successeur ayant jeté à la décharge publique les quelques 60.000 dossiers accumulés depuis 1950 Dans leur hâte à délivrer tous les permis de démolir les murs d'une clinique et de voir disparaître les lits chirurgicaux qu'elle abritait, les pouvoirs publics ne se sont jamais préoccupés des archives et des dossiers des malades… .
Dernière conséquence, économique celle-là, de la disparition quasi-complète du personnel religieux des établissements d’hospitalisation, publics ou privés. Connaissant par expérience les méthodes de travail des religieuses et leur disponibilité totale, une des causes - mais non la seule assurément - de l’augmentation des dépenses de santé réside dans le remplacement de ce personnel pratiquement gratuit par un personnel civil infiniment plus exigeant et onéreux.
Ce rapport de cause à effet direct n’est pratiquement jamais évoqué.