Je me suis amusé pendant plusieurs années à poser la question suivante à tous ceux qui avaient quelques connaissances médico-sociales, en particulier à des décideurs, énarques de préférence puisqu'ils savent tout par définition :
" Pouvez-vous me dire de quand datent les cliniques conventionnées ? "
Cette question parait tellement naïve que beaufcoup répondent aussitôt avec un petit sourire de commisération :
" Eh bien, de 1960, voyons ! "
D'autres, plus ignorants ou plus méfiants, répondent après un gros effort de réflexion :
" Euh, probablement en 45 ou 46, en tout cas au lendemain de la dernière guerre "
Lorsque je leur apprends qu'ils "ont tout faux", ils deviennent attentifs mais... je les ai vexés et je me suis fait quelques ennemis supplémentaires....!
L'histoire des cliniques conventionnées, chapitre que je devais écrire avec LE COUTOUR, comme je l'ai rappelé en commençant ce travail, mérite d'être connue.
C'est un jeune chirurgien venu de Dordogne, le Dr. Arnaud BRUNET, ancien interne de l'hôpital Péan et de la Croix St-Simon, qui eut l'idée de créer en s'installant à PARIS, une clinique privfée où les malades seraient accueillis gratuitement, sans bourse déliée.
La chirurgie privée était à l'époque - entre les deux guerres - très onéreuse Les honoraires d'une appendicectomie se situaient de 1930 à 1939, autour de 3.000 à 5.000 anciens francs pour le chirurgien auxquels devaient s'ajouter les honoraires de l'aide, ceux de l'anesthésiste, la location de la salle d'opération (ancêtre des FSO), les frais de séjour, les gardes de nuit, dans des cliniques parisiennes comme celles de la rue de la Chaise, de la rue Piccini, de la rue Bizet, ou de NEUILLY, comme Pierre Cherest ou Jacques Dulud. Les familles disposant d'une assurance étaient rarissimes.   et entre les mains de chirurgiens parisiens titrés, célèbres et riches. C'est cette image qui est restée gravée dans l'inconscient collectif jusqu'à nos jours.
Avril 1934
La chirurgie gratuite, libérale et personnalisée conçue par Arnaud BRUNET fut réalisée pour la première fois à PARIS, dans un quartier populaire du 15ème arrondissement, au 30, rue des Entrepreneurs devenue par la suite, rue de l'Ingénieur Robert Keller.   dans une petite clinique de 5 lits portée rapidement à 8 lits. Le local - une ancienne usine désaffectée- fut prêté et aménagé par un mécène, propriétaire des lieux. Comportant une petite salle d'opération, avec l'aide de 4 religieuses de l'Ordre des filles de Compassion et une infirmière, aide - opératoire - anesthésiste, Melle Suzanne MARESCHAL, cette modeste structure s'ouvrit sur le mode d'un dispensaire avec l'appui d'une petite mutuelle paroissiale. Le succès de cette entreprise fut immédiat: les familles d'ouvriers appréciaient à la fois la gratuité totale, la qualité des soins, la disponibilité du chirurgien et le caractère convivial de l'établissement comme on dirait aujourd'hui.
Cette formule s'est imposée rapidement avec des accords identiques conclus avec d'autres Mutuelles jusqu'à la mobilisation en 1939 de son promoteur. Fait prisonnier puis libéré en 1941, Arnaud BRUNET reprit toutes ses activités rendues plus difficiles en raison de la pénurie générale liée à l'Occupation. Devant l'exiguïté des locaux de la clinique de la rue des Entrepreneurs, Arnaud BRUNET put en 1943, au décès du Dr BAUSSENAT, propriétaire de la clinique située au 7, rue Jacques Dulud à NEUILLY, poursuivre et donner l'ampleur nécessaire à son entreprise. Devant le succès croissant de son entreprise, Arnaud BRUNET acheta en 1948, un ancien orphelinat situé à NEUILLY, au 50 Bd de la Saussaye. Arnaud BRUNET transforma ce bâtiment en une seconde clinique chirurgicale ultra-moderne de 30 lits, fonctionnant en synergie avec celle de la rue Jacques Dulud. La clinique Sainte ODILE admirablement située dans une oasis de verdure abrita la communauté des 4 religieuses qui avait inauguré la première clinique de la rue des Entrepreneurs. Elle connut une notoriété considérable, mais victime des premières mesures restrictives, la clinique Ste ODILE fut démolie en 1971 pour laisser la place à un immeuble d'habitation.
Cette clinique de 27 lits, implantée dans un parc, jouissait d'une réputation de haute technicité depuis les premières tentatives de chirurgie cardio-thoracique (ablations d'éclats d'obus intra ventriculaires), qui furent effectuées par BAUSSENAT au bénéfice de certains poilus de la guerre de 1914-1918.
De clinique chirurgicale redevenue mondaine dans « l'entre deux guerres », la réputation de la clinique Jacques Dulud s'est progressivement étendue à une vaste population et sa formule a été vite adoptée entre 1945 et 1950 par 6 chirurgiens déjà cités. Mais seul Arnaud BRUNET, parce qu'il était l'inventeur de la formule conventionnelle avec tiers payant, fut la cible principale de la vindicte de la profession.
Plaintes devant le Conseil de l'Ordre, procès, condamnations, puis relaxes prononcées après deux décisions du Conseil d'Etat du 12 août 1952 et du 2 juillet 1958 jalonnent la naissance et la généralisation des cliniques conventionnées dont le principe reposait sur des accords conclus de gré à gré entre des responsables de cliniques et un organisme assureur, mutuelle, ou caisse d'assurance maladie. Ces accords qui reposaient à l'origine sur le respect réciproque des engagements pris, notamment en matière de tarifs d'honoraires et de tiers-payant, servirent de modèle à une réglementation de plus en plus lourde pour aboutir à un système caricatural que son promoteur dénonçait peu avant sa mort à 71 ans, le 5 novembre 1977 dans sa propre clinique.
Fils d'un généraliste périgourdin, Arnaud BRUNET naquit en effet le 1er Octobre 1906 à TOCANE St Apre (Dordogne). Sans être passé par la filière de l'Internat de Paris, il fut un chirurgien particulièrement doué, au geste élégant, sobre et rapide. Il se cultivait sans esprit préconçu, lisant beaucoup et se tenant très au courant de l'évolution des techniques chirurgicales. Son érudition, son esprit critique doublé d'un solide bon sens, son expérience personnelle, assise sur un très grand nombre de cas toujours observés avec soin, le tenaient à l'abri des innovations qui n'avaient pas prouvé leur innocuité.
Assidu aux congrès, il allait aussi bien voir opérer Von BREMER à LEIPZIG ou Terrence MILLIN à LONDRES lorsque sa technique d'adénomectomie prostatique retro-pubienne fut introduite en 1950, qu'il faisait venir sur place l'auteur d'un procédé nouveau. Il acquit très vite une réputation fondée autant sur ses résultats opératoires que sur ses qualités humaines. Il avait une connaissance aigüe de la psychologie des patients et de leurs familles et la confiance qu'il inspirait à tous était un de ces éléments de cette chirurgie à visage humain et personnalisée qu'il avait su créer, développer et enseigner par l'exemple.
Dr Arnaud BRUNET 1906-1977Mais c'est surtout l'aspect moral et social de son activité que la profession retiendra lorsque justice lui fut tardivement rendue. Cette première clinique chirurgicale conventionnée de la rue des Entrepreneurs était destinée dans son esprit à donner à la récente loi sur les Assurances sociales de 1930 et à l'Ordonnance de 1945 le plein sens voulu par le législateur en offrant aux assurés sociaux, voués jusqu'ici aux seuls hôpitaux – hospices, une chirurgie techniquement irréprochable exercée dans le secteur libéral et remboursée au tarif conventionnel scrupuleusement respecté, donc sans dépassement officiel ou... occulte.
Au milieu de difficultés financières considérables, malgré l'indifférence et bientôt l'hostilité farouche d'une partie du corps médical, dont certaines pratiques se trouvaient ruinées par la transparence du nouveau système, Arnaud BRUNET s'efforça avec ténacité et parfois avec opiniâtreté d'améliorer cette formule qui devait se généraliser.
Mais lorsque, après l'échec du projet GAZIER, la première Convention fut instaurée le 12 mai 1960, Arnaud BRUNET la jugea très éloignée de ses propres conceptions à la fois généreuses et réalistes. Que signifiait en effet, une Convention à laquelle chacun pouvait adhérer librement tout en se dégageant immédiatement de toute contrainte tarifaire en invoquant toutes sortes de dérogations comme la notoriété ou certaines exigences du malade par exemple ?
Les partenaires sociaux Romain LAVIELLE, Gaston DUJARDIN, P. CEUNINCK, Jack SENET, principaux responsables des organismes mutualistes de cette époque   d'Arnaud BRUNET ont gardé le souvenir d'un chirurgien hors normes, courageux et sincère, fermement attaché à l'exercice libéral d'une spécialité humanisée bien avant la lettre, fondée sur le libre choix, le paiement à l'acte dans un système strictement conventionnel c'est à dire sans aucune dérogation ni charge pécuniaire quelconque pour tous les assurés, quelle que soit leur situation sociale.
Intransigeant sur les principes, respectueux des engagements pris et des signatures échangées, longtemps seul ou presque, il tirait sa détermination d'une analyse lucide de l'évolution de la société et de la gratitude d'une clientèle nombreuse et fidèle.
Les mérites de ce pionnier aux convictions inébranlables mais désintéressées ne furent reconnus qu'en 1961 lorsqu'il reçut la croix de chevalier de la Légion d'Honneur au titre du Ministère du Travail, Paul BACON étant alors ministre.
On peut considérer le Dr. Arnaud BRUNET comme l'un des pères du système conventionnel, assez éloigné cependant dans sa forme de 1973 Le premier décret définissant la Convention de l'Hospitalisation privée est daté du 22 février 1973   qu'il considérait par certains aspects comme caricatural et même pernicieux.
Gardant de sa formation au Collège St Joseph de Périgueux une rigueur intellectuelle, une culture étendue et une foi chrétienne exemplaire, Arnaud BRUNET fut tout à la fois un organisateur sachant se faire obéir, sans jamais élever la voix, un interlocuteur subtil et persuasif, un esprit pénétrant et lucide, capable de masquer une inquiétude ou son amertume par une boutade ou une saillie.
J'ai eu le privilège, en 27 ans d'une étroite collaboration, d'être son disciple le plus reconnaissant car il m'a, à son tour tout appris, du moins, ce que mes autres Maîtres officiels ne m'avaient pas suffisamment enseigné, notamment le chapitre fondamental des relations praticiens-malades dont on a découvert depuis quelques années, toute l'importance.