Après la disparition en 2004 de l'internat des hôpitaux, dernier concours survivant après la vague de réformes qui a profondément modifié les voies d'accès en médecine, il me parait légitime de rappeler les anciennes structures qui ont jalonné le XXème siècle et dont la suppression suscite non seulement des regrets nostalgiques mais surtout des craintes pour l'avenir.
D'abord, la suppression de l'Externat des hôpitaux obtenue par les émeutiers de 1968 avides de réformes égalitaires a porté un coup fatal à la qualité de l'enseignement médical. Ce concours écrit et anonyme qui sélectionnait le tiers ou le quart des étudiants dès la seconde année de leur cursus portait sur 15 questions de six minutes rédigées en 1 heure et 30 minutes en réponse quasi instantanées sur les sujets fondamentaux que tout futur médecin était appelé à rencontrer dans sa carrière.
A elle seule, la préparation volontaire à cette épreuve exigeait une approche suffisante d'une liste non limitative de questions de base et un effort de mémoire qui restait gravée pendant tout son exercice professionnel, que le candidat soit reçu ou non.
Accusé de "bachotage inutile" et de "catéchisme stérilisant", l'externat des hôpitaux a formé de nombreuses générations de médecins instruits et travailleurs, à la fois par la sévérité du recrutement et la qualité d'un long apprentissage clinique comportant les premières responsabilités confiées à un étudiant par un maître étant lui-même passé par une longue filière de concours hautement sélectifs, dont celui-ci.
Après la suppression de l'externat que la faiblesse du pouvoir politique alors en place s'était laissé imposer, il affirmait piteusement "que désormais, ce sera l'externat pour tous et non plus la sélection par l'échec au concours". On remarquera que ce genre d'argument a été utilisé, mot pour mot, par les gouvernements suivants lorsqu'il fut question de supprimer (déjà) l'internat "pour empêcher de former des futurs généralistes sur l'échec au concours".
Quoiqu'il en soit, le slogan de "l'externat pour tous" s'est vite transformé en "l'externat pour personne!" au point que en 2004, les étudiants – stagiaires ont réussi à se faire appeler désormais officiellement "externes" pour bénéficier de la retombée du prestige de l'ancien titre…!
Le même esprit destructeur a présidé à la suppression effective de l'Internat moins de deux ans après les cérémonies commémoratives de sa création deux siècles plus tôt, le 4 Ventôse de l'an X (23 février 1802) par BONAPARTE Réservé aux hommes. Les femmes ne seront admises à concourir que 83 ans plus tard, en 1885. La première femme interne reçue au concours 1886 fut Mlle Augusta Klumpke, future Mme Déjerine. .
La valeur et la renommée de ce concours, qui comportait des épreuves écrites d'admissibilité et une épreuve orale de nomination, était fondée sur un recrutement encore plus sélectif puisque, sur le 1/3 ou le quart restant des étudiants ayant franchi la première étape de l'externat, l'A.P. de Paris recrutait, bon an mal an, 80 à 85 internes soit une proportion de 1 à 2% du nombre total d'étudiants. Quant à la qualité de la formation, elle a été universellement reconnue dans toutes les spécialités et notamment en chirurgie lorsque, sur une durée de 4 ans, portée à 5 ans, prolongée par un clinicat de durée minimale de 2 ans, tout ancien interne était en mesure d'effectuer, seul, les interventions les plus courantes en pratique de ville ou hospitalière d'abord en chirurgie dite générale puis, au fil des années, selon la spécialité choisie.
A ce niveau de recrutement, l'Internat de grandes villes de Faculté (Paris, Lyon, Marseille, Strasbourg, etc.) pouvait être à juste titre comparé à celui des grandes écoles (Polytechnique, Centrale, Normale Sup., etc).
Le point coupé
Cette curieuse expression rappellera à ceux qui l'ont subie Y compris au narrateur !   de cruels souvenirs.
A cette époque, l'Administration soucieuse de l'application rigoureuse du règlement, annonçait, dès l'ouverture du concours par la voie du président du jury, le nombre de postes ouverts au concours de l'année (en général fin Septembre à la salle Wagram). A l'issue du concours au printemps suivant et lors de la proclamation des résultats, on donnait la liste des nommés dans l'ordre du nombre de points. Mais les derniers ex-aequo, ayant donc obtenu le même nombre de points, se voyaient appliquer la règle dite du "point coupé". Ceux qui avaient la plus grande ancienneté dans leurs fonctions d'externe étaient nommés "internes titulaires" alors que ceux qui avaient une ancienneté plus faible se voyaient attribuer le titre d'Externe en Premier ou Interne provisoire pour une année, jusqu'au prochain concours. Il n'était pas question de rajouter un ou plusieurs postes pour rattraper un ou plusieurs candidats victimes de la guillotine du "point coupé".
Cette décision était sans appel et considérée comme juste par tous.
Je voudrais simplement évoquer au passage le souvenir oppressant de la « turne » puis de ce petit amphithéâtre de l'hôpital Necker où se déroulaient en public les épreuves orales de l'internat, seul face au jury qui prenait des notes derrière la fameuse pendule noire dont le candidat suivait le parcours complet de l'aiguille en 10 minutes précises.
Certes, l'internat a évolué à partir de 1950 où le nombre des postes mis au concours a augmenté progressivement selon les besoins, la démographie, l'apparition de spécialités nouvelles, des modifications administratives. Aucun concours n'étant éliminatoire, on est passé de 5 concours dans le ressort d'une seule Faculté à 6 dans les concours suivants ouverts sur 2 zones, Nord et Sud.
Il est vrai que l'internat était, au seuil de l'Europe, une exception française - une de plus - puisque le futur spécialiste était longtemps resté "un élève-interne" payé comme tel, et non comme un médecin confirmé. Il est vrai aussi que le terme de chef de clinique était intraduisible en langage communautaire, d'où une certaine ambiguïté dans les textes.
L'internat des hôpitaux est devenu en 2004 sous le sigle nouveau d' E.C.N. un simple examen de sortie classant et validant le second cycle d'études, que les syndicats d'internes et de chefs de clinique des années 1983-1985 avaient énergiquement rejetés, mais entre-temps, cette génération protestataire considérée comme conservatrice, s'est raréfiée…
Après l'externat pour personne, on est arrivé au stade prévisible de "l'internat pour tous, c'est-à-dire - une fois encore - pour personne".
Les concours ultérieurs
Au-delà de l'externat et de l'internat, je ne m'étendrai pas sur la longue énumération des autres concours tous disparus eux aussi. Après celui de chef de clinique déjà laissé au bon vouloir d'un chef de service chez qui l'interne candidat avait passé un stage d'un an et parfois moins, et avait laissé un bon souvenir, il faut rappeler les trois niveaux organisés par la Faculté pour l'enseignement :
  1. l'adjuvat d'anatomie, à une époque où cette discipline était pleinement reconnue et préalable au prosectorat, concours sévère mais passage obligé pour ceux qui se destinaient à une carrière hospitalière et universitaire de chirurgien.

  2. l'agrégation qui mettait en compétition selon les années deux ou trois candidats devant un jury de Professeurs écoutant avec une attention soutenue une leçon qui lui permettait de juger, entre autres, l'aptitude pédagogique d'un candidat pour l'accès aux carrières suivantes.

  3. la liste d’aptitude pour le titre et la fonction de Professeur de Faculté.

Pour les carrières hospitalières le premier échelon, l'assistanat des hôpitaux, consistait comme pour l'internat de ville de Faculté ou d'Ecole de Médecine en un concours comprenant une admissibilité sur épreuves écrites anonymes, une épreuve clinique de malade et pour les chirurgiens une épreuve anatomique de démonstration opératoire. Enfin, une épreuve orale de nomination avec l'exposé des titres, des travaux et de la motivation du candidat.
Pour l'A.P. de Paris, un concours spécial dit de "Bureau Central" était proposé à ceux qui se consacraient à une longue carrière hospitalière aboutissant en principe à la chefferie de service après avoir passé un certain nombre d'années aux urgences dans un secteur géographique déterminé et pour une spécialité donnée.
L'avenir
Nul ne peut le prédire.
Le recrutement par concours pouvait être en effet critiqué sur certains de ses aspects négatifs comme le temps perdu consacré à sa préparation et l'apprentissage plus ou moins laborieux de toutes les méthodes et des artifices connus pour franchir avec succès toutes les épreuves.
Même s'il existe parfois des doutes sur l'impartialité des jurys et l'influence présumée de certaines interventions intra ou extra professionnelles, il apparaît que le concours avait au moins le mérite d'être le plus objectif des critères, surtout lorsque les candidats sont à peu près d'égale valeur et déjà connus dans notre milieu professionnel restreint.
Certes, les jurys n'étaient pas à l'abri de certaines erreurs, mais l'absence de tout système de sélection laisse entrevoir des choix hasardeux que seule, des évaluations périodiques peuvent dépister et corriger. Il existe de nos jours, dans beaucoup de branches professionnelles des méthodes nouvelles quasi scientifiques pour choisir le meilleur pour une tâche déterminée.