Comme je l'ai rappelé plus haut, j'ai exercé à l'hôpital public comme chirurgien salarié à temps-partiel, et en clinique privée dite à but lucratif, comme praticien libéral. J'ai donc travaillé avec un personnel majoritairement féminin, en grande partie civil, parfois religieux auquel j'ai consacré d'ailleurs les pages précédentes.
N'étant ni propriétaire de clinique ni chef du personnel d'un centre hospitalier, je n'ai jamais recruté directement que certaines de mes aides-opératoires que je rémunérais assez chichement, je dois le reconnaître, en dépit de mes exigences. Mais, elles savaient toutes que j'avais précisément épousé pendant mes études une infirmière, que j'avais deux filles et que j'étais conventionné sans jamais utiliser mon DP. Celles qui m'ont quitté pour des motifs personnels ou pour se marier à leur tour, n'ont jamais pris prétexte de leur feuille de paie... Je suis resté en bons termes avec toutes. Elle m'ont encore jusqu'à aujourd'hui témoigné leur fidèle souvenir et pourtant elles ont toutes eu, de temps à autre, à se plaindre de ma sévérité dans le travail, de l'observation quasi-maladive des règles de l'asepsie, de la ponctualité et de l'orthographe....
En plus de 40 ans, j'ai vu la transformation progressive des différents postes de travail de ce personnel venu de toutes les couches sociales, attiré par les soins aux malades ou aux opérés.
Depuis la fille de salle ou l'aide soignante affectée aux tâches les plus ingrates auprès des malades incontinents, couverts d'escarres et impotents, jusqu'à la surveillante ou la cheftaine, j'ai observé selon les circonstances et les caractères, des comportements parfois très contrastés comme dans toute collectivité. Mais dans ce milieu professionnel, la principale composante humaine est représentée par le malade et sa famille, chacun des membres de l'équipe soignante intervenant en fonction de sa place dans l'équipe, de ses compétences, et de sa compassion lorsque la fin approche.
Le diplôme d'Etat
Du simple "nursing" aux soins les plus élaborés, l'infirmière est devenue au fil des années une technicienne hautement spécialisée à chaque situation.
Avant la guerre de 1939, les infirmières possédant le diplôme d'Etat étaient relativement peu nombreuses. Il existait déjà des écoles privées dont celles de la Croix Rouge le plus souvent payantes. Certaines écoles publiques et gratuites, étaient déjà célèbres et recherchées. Ainsi, après un concours ouvert aux titulaires du brevet, l'Ecole des bleues de la Salpêtrière formait en deux ans d'internat, des infirmières diplômées qui devaient rester 5 ans au service de l'Administration de l'Assistance Publique de Paris où elles pouvaient faire carrière.
On les reconnaissait à leur uniforme, blouses et tabliers blancs impeccables, cape bleue, chaussettes blanches souliers noirs et voile ajusté avec l'insigne bleu (pour les distinguer des "mauves", futures diplômées d'Administration). Elles ne recevaient la cocarde de la ville de Paris qu'après l’obtention du diplôme.
Peu à peu, suivant cet exemple, un certain nombre d'hôpitaux se dotèrent de leur propre école et il m'est arrivé de donner des séries de cours à SAINT DENIS et à NEUILLY.
Pléthore ou pénurie ?
Devant la multiplication des tâches et face à une spécialisation croissante, il fallu pourvoir tous les établissements récemment créés d'un personnel soignant diplômé. Sachant que la durée d'exercice d'une infirmière diplômée était à l'époque de 5 à 6 ans en moyenne, on multiplia les écoles. On était alors en pleine période d'expansion des 30 glorieuses.
Par la suite, comme pour les médecins, on constata un excédent mais il fut vite résorbé par l'attrait d'une carrière moins valorisante certes, mais moins astreignante et surtout mieux rémunérée tant dans le secteur public que privé. C'est ainsi qu'un grand nombre d'infirmières D.E. furent retirées du circuit des soins pour remplir des tâches administratives dans divers organismes d'assurances, de prévoyance, dans diverses institutions, dispensaires ou usines pour tenir le secrétariat du médecin du travail.
Recrutées avec des salaires nettement plus confortables que dans les services hospitaliers publics ou privés, attirées par les horaires de bureau, elles sont exemptes de toutes les obligations de garde, d'astreinte ou d'urgence, disposant avant la lettre d'un régime horaire réduit ou adapté aux charges familiales.
Leur seule utilité consiste dans les infirmeries scolaires, en dehors du secrétariat du médecin scolaire, à assurer une permanence, à donner les premiers soins en cas de "bobologie" avant d'appeler le SAMU, de soigner une indigestion ou depuis peu, à prescrire la pilule "du lendemain"...!
Il y avait en 1978 "trop de lits, trop de médecins, trop de dépenses", disions-nous à l'Assemblée Générale de l'Union Syndicale C.G.C. des Médecins hospitaliers. Après la période faste des 30 glorieuses vint celle des restrictions. On a réduit considérablement le nombre de lits, on a réduit le numerus clausus à l'entrée des Facultés de médecine et malheureusement, celui des écoles d'infirmières alors que les besoins croissants et diversifiés des compétences exigeaient au contraire, au moins le maintien du nombre des écoles.
Résultat, une pénurie générale d'infirmières compensée partiellement dans le secteur public grâce à des salaires supérieurs de 15 à 20% en moyenne à ceux des cliniques, qui se sont progressivement vidées de leur personnel expérimenté au profit de l'hôpital public. Il fallut même, à l'initiative du Dr. TALAZAC, ancien Président de l'UHP importer des infirmières d'ESPAGNE où elles étaient en surnombre !