L'acte chirurgical nécessite la présence autour du chirurgien d'un personnel de plus en plus nombreux et compétent.
Autrefois, c'est-à-dire à la fin du XIXème siècle, le chirurgien qui se déplaçait en calèche au chevet d'un malade ou qui se rendait à l'hôpital utilisait son cocher pour remplir plusieurs fonctions, et notamment préparer et porter ses instruments, tenir un rôle de garçon de salle ou endormir le malade,  et même aider son maître à opérer…
Comme Marcel Proust et Roger Martin du Gard l'ont relaté dans leurs oeuvres, le Dr Alfred CAYLA, un des premiers médecins de l'Hôpital de Neuilly, construit en 1935, m'a décrit l'équipage dans lequel il avait vu les grands chirurgiens parisiens d'alors parcourant Paris et sa banlieue entre 1890 et 1900. Très vite, les premières automobiles remplacèrent les chevaux et leurs cochers, bientôt transformés en chauffeurs, continuèrent à assister leur patron pour les mêmes tâches.
Ainsi, les premières anesthésies et les premières assistances opératoires furent effectuées par un personnel non spécialisé, parfois par un médecin, plus souvent par un étudiant en médecine ou une infirmière très rarement diplômée, religieuse ou laïque..
La période contemporaine.
La séparation puis la spécialisation de ces deux tâches apparut progressivement avec l'enseignement et les diplômes correspondants.
En salle d'opération, trois catégories nouvelles de personnel s'individualisèrent :
  • l'infirmière de bloc ou panseuse (IBODE)

  • l'aide-opératoire du chirurgien

  • le médecin anesthésiste et son aide

Une mauvaise querelle.
Les chirurgiens conventionnés d'exercice libéral exerçant en clinique conventionnée prirent l'habitude, pour de banales raisons économiques, de se faire aider par leurs secrétaires, collaboratrices indispensables pour remplir toutes les tâches multiples requises par la tenue d'un cabinet médical libéral. Ces personnels s'étaient déjà spécialisés en qualité de "secrétaires médicales", nouveau métier apparu juste après la guerre et qu'une excellente école dite de "la rue de Liège" formait à la demande.
Elles avaient reçu un enseignement théorique et pratique très complet et de l'avis général de leurs futurs utilisateurs, parfaitement adapté à cette fonction. Elles n'avaient, pour la plupart qu'un seul défaut, elles n'étaient ni infirmières, ni diplômées. Cette carence était considérée comme rédhibitoire par les infirmières diplômées et par les IBODES qui ont ameuté plusieurs cabinets ministériels et inquiété plusieurs ministres.
Le principal argument de leurs collègues résidait dans la menace qu'une telle situation faisait peser sur la santé publique : en tolérant la présence d'un personnel non diplômé en salle d'opération, l'Etat prenait une lourde responsabilité pour la sécurité des opérés…
Cette affaire survenant inopinément dans les turbulences consécutives au drame du sang contaminé, exploitée à grand renfort médiatique, ne visait d'ailleurs que le seul secteur libéral et non le secteur hospitalier public puisqu'aucune qualification particulière n'est requise pour assurer à l'hôpital public la fonction d'aide opératoire qui peut, indifféremment, être exercée par un chirurgien ou un Docteur en médecine du service, un interne, un étudiant en médecine ou une stagiaire élève infirmière, voire un agent de service hospitalier, selon les disponibilités du service en personnel.
Derrière ce motif apparemment noble et désintéressé, s'appuyant sur un texte juridiquement douteux parce que mal rédigé, autorisant les titulaires du diplôme d'Etat d'infirmière "à effectuer les actes d'infirmière de salle d'opération, d'aide opératoire et d'intrumentistes" se dissimulait une manœuvre beaucoup plus sordide : occuper le poste particulièrement convoité et valorisant d'aide opératoire ou d'instrumentaliste au sein d'une équipe…
Il s'agissait en fait de luxer purement et simplement une catégorie de personnel parfaitement adapté par une longue expérience, travaillant sous la responsabilité directe du chirurgien qui les avait formé à sa pratique opératoire. Telle aide connaît les impératifs de la chirurgie osseuse, telle autre est formée à la pratique de l'ophtalmologie chirurgicale ou à celle de l'urologie, les unes et les autres connaissent parfaitement les règles de l'asepsie.

Tout chirurgien sait qu'il faut un certain temps pour former une aide-opératoire, qu'elle soit infirmière D.E. ou non. Ce diplôme à lui seul, ne suffit pas à apprendre à s'habiller correctement, à enfiler sans faute une paire de gants stériles, à ne pas commettre la moindre faute d'asepsie pendant la durée, parfois fort longue, d'une intervention, à mémoriser sans erreur la succession des temps opératoires et à présenter au bon moment, le stent intra artériel ou l'aiguille montée pour une suture fine.

Il existe en fait une sorte de synergie entre l'opérateur et son ou ses aides. De même, entre un chirurgien et l'anesthésiste. Le travail en équipe ne souffre ni l'improvisation ni la maladresse ni les tensions de quelque nature qu'elles soient.
La fronde
Sous l'influence de certain syndicats, des infirmières dûment titulaires du diplôme d'Etat déclenchèrent lors d'un changement de majorité politique survenu en 1997, un mouvement revendicatif destiné à protéger et à valoriser leur titre en imposant une réglementation lui conférant l'exclusivité de la fonction d'aide opératoire du chirurgien dans tous les cas où cette fonction était exercée par un personnel non diplômé. C'était en fait interdire toute activité aux nombreuses secrétaires – aides opératoires en fonction dans un certain nombre de cliniques où elles étaient recrutées et formées par leur chirurgien à des tarifs – il faut bien le reconnaître – très bas en raison de la crise traversée par la spécialité.
Tant mieux si l'aide ainsi recrutée était par ailleurs titulaire d'un diplôme d'Etat acquis plusieurs années au paravent. Malheur à celles qui n'avaient au départ que de vagues notions de sténo-dactylographie et qui, après une formation appropriée à chaque chirurgien et une longue pratique sont devenues irremplaçables.
Que dire enfin de la propre épouse du chirurgien qui n'était pas nécessairement infirmière DE; et qui a été de plus en plus souvent mise à contribution par leur mari parce qu'elle avait l'immense avantage d'être gratuite …
La situation de fait
Le ministère s'est trouvé devant une situation délicate qu'il a du régler comme toujours dans un climat de crise.
Outre le syndrome dit « du parapluie » rapidement généralisé à celui dit de précaution, à la suite de l'affaire du sang contaminé, l'impératif de santé publique mis en avant ne pouvait pas être éludé : il n'était en effet pas normal que l'accès d'une salle d'opération soit ouvert à un membre du personnel ne possédant pas le diplôme correspondant à son emploi. On remarquera que cette vigilance ne s'exerçait qu'en clinique privée, l'hôpital étant par définition en règle avec toutes les normes officielles. Nous avons vu plus haut qu'il n'en était rien (voir l'affichette de la Dépêche du Midi).
Les textes en vigueur imprécis confondaient trois catégories différentes :
  • l'infirmière diplômée d'Etat
  • l'infirmière-panseuse de bloc opératoire possédant un diplôme spécial de création récente.
  • l'aide opératoire proprement dite
Les effectifs disponibles d'infirmières D.E. ne permettaient pas, du jour au lendemain, de satisfaire une telle obligation. La pénurie d'infirmières ne pourra être résorbée qu'avec un retard difficile à évaluer. Cette situation devrait conduire à rechercher les causes d'une désaffection généralisée pour une profession vantée et soutenue par l'opinion publique pour ses qualités humaines mais dont les conditions de travail sont mal connues et encore plus mal rétribuées.
L'injustice consistant à congédier un personnel d'aides-opératoires en place parfois depuis de longues années, certaines proches de la retraite, expérimentées et hautement qualifiées de fait, avec une impossibilité de reclassement professionnel, de surcroît dans une période aiguë de chômage, risquait de créer une nouvelle cause de tension sociale. Ce n'est pas parce qu'elles n'avaient pas de diplôme officiel qu'elles n'étaient pas compétentes, consciencieuses et dévouées.
La solution
En attendant que le nombre d'infirmière diplômées ayant reçu une formation appropriée permette de remplacer les aides opératoires en exercice sans diplôme, il fallait trouver des dispositions transitoires permettant de résoudre ce problème.
Nous avions suggéré dans la période 1974-1975 de s'inspirer de la solution trouvée par les radiologues lorsqu'on s'aperçut que les manipulatrices-radio exerçaient à la satisfaction générale des fonctions qui n'étaient pas encore reconnues et qu'il était nécessaire d'intégrer les personnels en place grâce à un examen vérifiant leurs connaissances professionnelles acquises sur le terrain en salle de radiologie. Il suffisait de constituer un jury présidé par un radiologue qualifié assisté d'une manipulatrice du secteur public et d'une manipulatrice du secteur libéral ayant une longue expérience hospitalière et de tester les candidats et candidates qui n'eurent aucune difficulté à franchir l'épreuve-test nécessaire pour la délivrance d'une attestation de capacité.
Cette suggestion parut trop simple à une jeune conseillère membre d'un cabinet ministériel qui la refusa avec hauteur et bloqua pour de longs mois toute solution. Faute de l'avoir trouvée, cette conseillère quitta le cabinet et le ministre reprit à son compte la solution simple proposée.
Mais, il fallu plusieurs textes dont une loi (!) pour graver dans le marbre le nouveau dispositif et surtout définir la durée de la période transitoire pour valider les compétences des candidates formées "sur le tas".