C'est le 18 Juin 1984, par une belle matinée de printemps que le sort de la médecine libérale a basculé lorsque le tracteur que conduisait Pierre BELOT s'est retourné en lui écrasant le thorax. Né à Paris, le 27 août 1920, il était dans la force de sa 63ème année, dans la pleine possession de ses moyens, et au sommet de sa réussite professionnelle et syndicale.
Née Eliette DROUAND, j'avais connu la future Mme BELOT lorsque, en 1942, nous assurions une modeste vacation hebdomadaire le soir au dispensaire anti-vénérien de l'Hôpital Laënnec où nous injections à longueur de soirée, dans les fesses des syphilitiques, le Muthanol et le Quinby consolidant leur séro-négativité. Le soir, Pierre BELOT, son fiancé, toujours tiré à quatre épingles malgré les restrictions, guettait notre sortie sur le trottoir de la rue de Sèvres. Leur mariage fut célébré le 21 septembre 1943 à PARIS.
Je n'ai vraiment connu Pierre BELOT que dans ces circonstances, bien que nous fussions condisciples dans la même année de médecine, mais pas dans la même série. De nombreuses années plus tard, je le retrouvais dans le milieu syndical où son parcours devait le conduire le 26 janvier 1969 à la Présidence de la F.M.F. La création de la F.M.F. résulte de la décision prise les 24 septembre et le 26 novembre 1967 par trois organisations, l'Union Syndicale des Médecins de France (USMF - 24, rue Michel Rondet, St-ETIENNE - Loire, dirigée par Jacques AVET), l'Association Médicale pour la Recherche de l'Unité Syndicale (AMRUS- 60, rue Neuve d'Argenson, BERGERAC-Dordogne, animée par LAPEYRE-MENSIGNAC), et la Fédération Nationale des Médecins Généralistes, (FNMGF, 1, place du Gal Leclerc - NOGENT sur Marne, Val de Marne, animée par Robert DIRAND). Les statuts furent déposés le 9 février 1968 à la Préfecture de la Seine. La Première Assemblée Générale s'est tenue les 14 et 15 décembre 1968. Si la FMF fait le plein de l'AMRUS et de la FNMGF, un clivage se produit à l'intérieur de l'USMF : les Syndicats du Val d'Oise, de l'Essonne et des Yvelines rejoignent la FMF. Par contre ceux de Paris, des Hauts de Seine, du Val de Marne et de la Seine St-Denis se regroupent en une Fédération des Chambres Syndicales et des Syndicats médicaux du district parisien et de l'Ile de France, présidée par J.P. WISNER, qui se montrera longtemps comme un rival de Pierre BELOT tout en étant associé avec sa puissante Fédération parisienne à la F.M.F. " Sortant périodiquement de la ligue pour entrer dans la Fronde, il faudra une sérieuse diplomatie, une ténacité à toute épreuve et parfois impériale, un sens du réel un esprit de finesse sans égal, parfois un florentisme ou un jésuitisme de bon aloi allié à une doctrine sans équivoque pour maintenir l'unité fédérale. Nous avons eu la chance prodigieuse de trouver l'homme qu'il fallait : Pierre BELOT ". (Toutes ces précisions et cet extrait sont tirés de la thèse sur la FMF du Dr. Claude DONNARD et de la plaquette de Robert DIRAND en hommage à P. BELOT et datée du 13 juillet 1984).
Après l'échec du "plan GAZIER" et l'effondrement de la IVème République, tandis que le pays abordait sa période d'expansion économique qui allait durer pendant les célèbres "30 glorieuses", les Ordonnances de 1958 instituant la Réforme Hospitalo-Universitaire dite réforme DEBRE, du nom du père du Premier Ministre et le décret du 12 mai 1960 pour la médecine libérale, encadrent simultanément toutes les composantes du corps médical français représenté par la seule CSMF.
Dans l'improvisation, Paris et Lyon déclenchent dès le 20 mai 1960 une grève administrative assez largement suivie jusqu'à la veille des vacances, au moment de la signature de quelques syndicats départementaux dont celui de la Charente (Dr Jonchère alors Président de la CSMF) et du Dr Ch. PROUX du Syndicat des Electro-radiologistes.
L' Assemblée Générale de la CSMF décide le 16 décembre 1960 par 15.700 mandats contre 7.300 de collaborer à l'application du décret instituant la première convention départementale et à défaut l'adhésion individuelle à cette convention tarifaire et même l'institution d'un tarif d'autorité à un niveau dérisoire.
Parmi les premiers, Pierre BELOT dénonce les dangers d'un remboursement discriminatoire, dérive menaçant à terme le caractère libéral de l'exercice médical, prévoyant même le blocage du tarif d'autorité La prévision était juste : ce tarif est resté inchangé et par conséquent symbolique 40 ans plus tard ! . Il s'oppose donc d'emblée au Dr. Jacques MONIER, nouveau président de la CSMF avec le slogan devenu célèbre : "A COTISATIONS EGALES, REMBOURSEMENT EGAL".
"Il lui faudra près de 25 années de ténacité et l'institution du secteur 2 pour faire cesser, avec la Convention de 1980, cette scandaleuse iniquité sociale " (Robert DIRAND)
Avant d'y parvenir, Pierre BELOT devra patiamment rassembler dans une structure syndicale fédérale concurrente de la CSMF qui bénéficiait d'un monopole de fait, un certain nombre de médecins puis de syndicats acquis à la défense de la médecine libérale pour obtenir la représentativité en 1967 et pouvoir enfin s'exprimer directement avec les pouvoirs publics et les Caisses en faveur d'un système conventionnel de responsabilité plus libéral.
Tenant bien en mains sa Centrale Pierre BELOT sut habilement se défier de tous ceux qui de l'intérieur ou de l'extérieur risquaient de porter atteinte à son autorité, contrarier sa politique ou s'approprier ses succès. 3 noms doivent être cités : J.P. WISNER, B.C. SAVY, et D. CABRERA qui aurait bien voulu s'attribuer la paternité du secteur 2. , sachant par la persuasion, la clarté de ses arguments et un art consommé de la diplomatie, convaincre ses interlocuteurs quels qu'ils soient, il a fini par instituer dans ses rapports avec les décideurs un véritable partenariat fondé sur la confiance et le respect qu'il inspirait.
A l'intérieur de son organisation, rien ne lui échappait parce qu'il était constamment à l'écoute de chacun. Il nous prenait à part, à tour de rôle, sollicitant nos avis et recueillant toutes les suggestions avec intérêt dès lors qu'elles étaient fondées sur le concret.
Trois exemples :
  • notre proposition avancée en avril 1974 à la Maison de l'Amérique latine de réunir dans une Convention tripartite de l'hospitalisation les 3 partenaires indissociables (praticiens, gestionnaires de cliniques et assurance maladie) fut soutenue par P.BELOT qui demanda à J. MARCHAND de l'inscrire au programme de la réunion des spécialistes de Novembre la même année tenue à l'Hôtel HILTON-Orly. Elle déboucha sur une proposition rédigée par Me VELIOT à inclure dans la future Convention de 1975. Elle ne fut pas retenue devant l'hostilité conjointe des caisses et des cliniques. Cette notion prématurée pour l'époque fut cependant reprise, timidement dans le préambule de la Convention de 1993 puis sous une forme plus discrète à l'art. 35 de la Convention de 1997.
  • La dissociation du K proposée en 1977 avec le regretté Pierre PINON à la Maison des Centraux fut systématiquement repoussée lors des A.G. de la FMF par les spécialistes utilisateurs du K pour leurs actes répétitifs. Conscient de cette injustice mais paralysé par cette opposition interne, P. BELOT nous laissa toute latitude pour l'obtenir par nos propres moyens, mais sans sa caution de Président de la FMF. Après un long parcours solitaire de 7 ans de démarches multiples nous conduisant jusqu'à l'Elysée, cette dissociation tant attendue fut promulguée au J.O. du 26 avril 1984 à la grande satisfaction de P. BELOT lui-même.
  • Ayant entendu prononcer pour la première fois le mot de " plateau technique" par le Dr. Pierre CHARBONNEAU, alors Directeur Général de la Santé, j'en fis part à P. BELOT qui en comprit sur le champ tout l'intérêt en me disant " voila une notion qu'il faudra savoir utiliser au bon moment. parce qu'elle est bien réelle ".
Il se forgeait ainsi sa propre opinion pour ne jamais être pris au dépourvu sur les sujets les plus divers. Il pouvait ainsi définir une stratégie en exploitant toutes les opportunités face à la toute puissante CSMF. Dans une situation donnée, il cherchait l'orientation la moins défavorable, c'est à dire la plus acceptable pour ses adhérents et la plus réaliste dans le contexte du moment.
Sans aucune idée préconçue, sans dogmatisme, sans jamais renier ses convictions, il savait d'instinct, avec SPINOZA, que "la vertu d'un homme libre se reconnaît à ce qu'il évite qu'à ce qu'il surmonte les périls ".
L'ayant accompagné dans certaines rencontres ministérielles, avec Jacques BARROT, Jean FARGE puis Pierre BEREGOVOY notamment, j'ai vu à l'oeuvre un Pierre BELOT qui, ne pouvant inverser une évolution inéluctable, cherchait à l'accompagner dans l'espoir de l'infléchir plutôt que de l'affronter inutilement au risque de perdre tout crédit.
Il me disait :mon petit père, soyons lucides et gardons les pieds sur terre. Sachons rester réalistes, mais sachons aussi saisir l'occasion favorable pour atteindre notre objectif ".
A Catherine DENIS, journaliste de grand talent qui m'interrogeait pour le Quotidien du Médecin sur les conséquences que pouvait avoir sur l'avenir de la FMF l'accident mortel dont P.BELOT, je lui répondis qu'à mon avis, personne ne serait capable de le remplacer et qu'une page de l'histoire syndicale de la médecine était définitivement tournée :" le corps médical français vient de perdre son meilleur avocat. Il va bientôt comprendre qu'il est devenu orphelin ".
Quelques jours plus tard, le 21 Juin 1984, sous un soleil radieux, au cimetière de St Leu la Forêt, une foule immense, amis et adversaires confondus, déposait sur son cercueil la rose rouge de l'adieu.