La vieillesse
Cette fois, ça y est : je viens de franchir la frontière invisible du 4ème âge, comme on dit aujourd'hui, en fait celle de la vieillesse tout simplement.
Jusqu'alors, surtout depuis ce jour fatal d'avril 1994 où nous avons perdu brutalement notre chère Marie-Claude, je vivais dans une sorte de promiscuité quotidienne avec la mort que je ne redoute pas, tant elle m'est familière par profession certes, et surtout par tendance à la fois physiologique et bien entendu fondamentalement matérialiste.
Claude BERNARD aurait dit quelque part "la vie, c'est la mort", aphorisme auquel j'ai adhéré depuis longtemps.
J'avais donc depuis de nombreuses années observé tous les stigmates d'un vieillissement biologique au fur et à mesure de leur apparition. Mais, jusqu'ici, ils restaient personnels et internes. Du moins, je n'en faisais pas état, même à mon entourage qui pouvait suivre, pas à pas, leur progression par les interventions subies.
Or, la révélation à l'extérieur s'est produite le jour où une charmante jeune fille m'a cédé sa place dans le métro avec le bon sourire qu'elle aurait adressé à son grand-père.
Ce geste, si rare de nos jours, s'est reproduit à plusieurs reprises, à intervalles rapprochés, dans l'autobus ou en d'autres circonstances, comme lorsqu'un jeune homme m'a vu trébucher sur une marche d'escalier roulant et m'a rattrapé par le bras. Cette fois donc, ma décrépitude que je croyais encore personnelle était devenue apparente à tous.
Cette découverte n'a bien sur aucun caractère exceptionnel mais elle me presse seulement d'achever ce travail. Je vais donc mettre les bouchées doubles.
 
Avril 2002 : où m'arrêter ?
Au départ, j'avais l'intention de clore ce travail à la fin de l'an 2000, après avoir rassemblé, depuis 1938, 62 ans de souvenirs personnels, professionnels ou syndicaux. Mais l'importance des événements qui ont suivi la dissolution de l'Assemblée Nationale en 1997 m'ont conduit à prolonger ces réflexions jusqu'à la fin du gouvernement JOSPIN, juste avant l'élection présidentielle suivie d'élections législatives qui marqueront une date limite et un repère historique à un XXème siècle médico-social particulièrement riche.
Sauf événements graves ou imprévisibles, la lourde machine administrative doit s'arrêter à la mi février 2002 pour céder la place à une double campagne électorale qui s'annonce depuis quelques mois déjà, tumultueuse.
Sans jouer les prophètes, on peut prévoir d'importants changements quel que soit le camp politique qui l'emportera Il est donc raisonnable de retenir la date du printemps 2002 pour tirer un trait final sous les réflexions portant sur près de 65 années d'événements médico-sociaux successifs relatés d'une façon aussi objective que possible mais.... commentés - et j'en suis bien conscient - selon une optique syndicale nécessairement partisane !
 
Eté 2003
Aujourd'hui, 21 juillet 2003, la forêt méditerranéenne qui avait prospéré pendant des siècles et était demeurée presque intacte même après le débarquement de 1944 en Provence, brûle avec une régularité astronomique.
Aujourd'hui, 21 juillet 2003, la situation médico-sociale est devenue inextricable.
Après l'élection pour 5 ans de Jacques CHIRAC à la Présidence de la République avec le renfort massif des voix socialistes au printemps 2002, le Gouvernement RAFFARIN se débat au milieu de difficultés innombrables : la réforme laborieuse des retraites, les protestations des intermittents du spectacle, la grogne des agriculteurs aggravée par une sécheresse redoutable, les incendies de forêts dévastateurs, les bombes posées par les indépendantistes corses à la suite de l'échec d'un référendum à la fin du procès des complices de l'assassinat du Préfet ERIGNAC et l'arrestation du meurtrier présumé Yvon COLONNA.
La situation économique et financière est de plus en plus préoccupante : la croissance stagne, le chômage est reparti à la hausse, le déficit budgétaire continue à se creuser, celui de l'Assurance maladie est estimé à 10 milliards d'Euros, quels que soient les artifices cosmétiques de sa présentation.
Bien qu'il dispose d'une majorité confortable au Parlement, le gouvernement est assailli de tous côtés par une opposition qui a conservé l'espoir de reprendre rapidement le pouvoir par tous les moyens avec le concours des organisations syndicales habituelles et en premier lieu, la CGT et F.O. Seule la CFDT, avec l'appui modeste de la CGC, soutient le Gouvernement actuel, comme naguère elle soutenait discrètement le gouvernement JUPPE.
Sur le plan médico-social, on retrouve curieusement le même clivage depuis 1997 où s'opposent :
  • le G7, avec la CSMF, le SML et la FMF, la CGT et F.O. qui voudrait bien récupérer la présidence de la CNAM
  • G 14, avec MG France et 12 autres organisations de professions de santé, ayant toutes déjà des conventions avec l'assurance maladie, et la CFDT qui veut conserver sa Présidence actuelle de la CNAM. L'UCCSF s'est ralliée, comme en 1997, à la conception défendue par MG France dans ce groupement intersyndical.
 
Un nouveau ministre dans l'embarras
Issu du milieu hospitalo-universitaire et, sauf erreur, n'ayant jamais exercé sous forme libérale, le Pr. J.F. MATTEI a tout naturellement, comme toute son administration et ses proches conseillers, adopté depuis la Réforme DEBRE de 1958, le principe de la partition de la médecine en deux pôles :
  • l'un hospitalier public, comprenant des médecins spécialistes exerçant à plein temps sous un statut d'agents publics et encadrés par des gestionnaires non médecins
  • l'autre dit de ville assuré par un corps médical "libéral sous conventions" conclues avec les trois Caisses nationales d'Assurance-maladie.
Entre ces deux pôles, la présence historique et juridique d'un secteur privé d'hospitalisation avait naguère conduit les pouvoirs publics à
  • assimiler au secteur public le secteur salarié placé sous le régime des conventions collectives négociées avec l'employeur ne poursuivant aucun but lucratif (congrégations, sociétés mutualistes, institutions de bienfaisance, etc.)
  • réglementer étroitement le secteur "libéral" d'hospitalisation sous conventions conclues entre l'assurance maladie et les gestionnaires des cliniques dites commerciales, mais sans leurs médecins !
Ce système déjà complexe a été rendu encore moins "gérable" par trois phénomènes simultanés :
  • de toutes les professions de santé d'exercice libéral, seuls les médecins spécialistes sont toujours sans convention et même toujours sans règlement conventionnel minimal dont la publication toujours annoncée est sans cesse différée.
  • la loi AUBRY sur les 35 heures, assez rapidement intégrée par le secteur libéral habitué à réagir efficacement à toutes les situations imprévues, a par contre profondément perturbé le secteur public d'hospitalisation qui ne peut remplir toutes ses obligations.
  • l'objectif obsessionnel de la puissance publique d'équilibrer ses comptes sociaux est toujours contrariée par ses préférences idéologiques : ainsi, la tarification par pathologie laborieusement mise en place depuis 3 ans avec le corps médical, vient d'être remplacée par une tarification à l'activité sans les médecins …
En préservant son monopole et en refusant avec entêtement la vérité par une comparaison impartiale entre les coûts publics et privés, la puissance publique se cramponne au principe dépassé d'une économie administrée à l'inverse de l'évolution générale.
 
L'occasion manquée de 1997 (rappel)
Après 10 ans d'attente, le Collège National des Chirurgiens Français devenu en 1992, l'UCCSF, obtint sa représentativité. Il put enfin participer aux négociations conventionnelles et signer seul, le 12 mars 1997, la première convention de spécialistes. Ainsi, le moule rigide et inextensible de la Convention unique fut temporairement brisé au grand dam des organisations polycatégorielles qui régnaient sans partage depuis 1971 sur l'ensemble du corps médical tout en asphyxiant progressivement les spécialités chirurgicales productrices d'actes uniques et non répétitifs.
Elles déclenchèrent sous des prétextes divers et avec des moyens puissants, un irrésistible mouvement d'opinion contestant la signature de l'UCCSF et à travers elle, la Convention elle-même. Sous l'avalanche des recours, le Conseil d'Etat, sans se prononcer sur le fond, annule cette Convention.
Or, l'immense majorité du corps médical, qui n'avait même pas lu cette Convention mais très influencée par les critiques lancées contre le plan JUPPE principalement par F.O. n'avait pas cherché à découvrir les nouveautés qu'elle apportait, notamment dans son chapitre V : la définition du KCC qui était en voie d'être provisionné pour 1999 et surtout l'amorce d'une Concertation permanente tripartite de Plateau technique lourd, notion nouvelle et fondamentale des futures relations entre les gestionnaires de plateaux techniques et les spécialistes utilisateurs.
De 1997 à 2003, on peut dire que toutes les possibilités de reprise du dialogue avec les Caisses et le Ministère ont toutes été perdues par suite de l'entêtement des autres organisations polycatégorielles représentatives qui n'avaient qu'un seul objectif principal : revenir à la Convention unique modèle 1971.
Ainsi, le G7, devenu par la suite G6 après le départ de la FMF, se trouva contrebalancé par le G8 et bientôt G10 et enfin G14 par l'adjonction progressive de professions de santé ayant souscrit chacune une Convention spécifique avec l'Assurance-maladie, suivant ainsi une trajectoire inter-syndicale diamétralement opposée à celle du G6.
Il en est résulté un gâchis général : pas de convention ni même d'accord catégoriel, à l'exception de celui du 10 janvier 2003 qui est resté sans effet, faute de moyens financiers. Aucune lettre-clé des spécialistes n'a été revalorisée et le KCC créé depuis 1998 attend toujours sa première tarification…! Pour combler ce vide, un règlement conventionnel minimal issu des Ordonnances JUPPE de 1996 a été institué depuis 1998. Il est toujours en vigueur en 2003 …!
Par contre, les généralistes disposent, avec MG France et grâce au geste courageux de l'UCCSF, d'une Convention spécifique qui fonctionne parfaitement, s'améliore même par des revalorisations tarifaires. Même si toutes les revendications des généralistes ne sont pas immédiatement satisfaites, leur sort est infiniment plus confortable que celui des spécialistes qui n'ont rien sauf un maigre espoir dans les accords ponctuels dits de bonnes pratiques et dans un aménagement encore incertain pour la couverture du risque professionnel depuis le retrait des assureurs.
Il est toujours facile de réécrire l'histoire mais on peut affirmer que l'attitude de certains irresponsables qui ont rejeté la convention de 1997 a été lourde de conséquences. Cette dernière chance n'a pas été saisie à temps. Advienne que pourra.
On peut dire, en conclusion, que jamais la situation n'a paru aussi figée, et on voit mal comment le gouvernement sera en mesure de trouver une issue dans un secteur professionnel aussi complexe, menacé et fragile.
Le seul espoir réside aujourd'hui dans un accord catégoriel limité conclu entre la CNAM et l'UCCSF sous forme d'un contrat individuel passé entre sa caisse primaire et un spécialiste chirurgical volontaire pour effectuer certaines tâches relevant du bon usage des soins en contre partie d'une rémunération appropriée.
L'UCCSF s'y emploie activement pour ne pas laisser passer la moindre occasion d'améliorer même très modestement le sort de ses mandants en souvenir de la mésaventure "du héron au long bec emmanché d'un long cou".
 
Janvier 2005 : nouvelle date butoir ?
Le changement de majorité d'avril 2002 prévu au paragraphe précédent a entraîné une cascade de réformes provoquées par une situation médico-sociale à la fois urgente et complexe pour toutes les formes d'exercice médical. Plusieurs événements se sont produits depuis 2002.
Après une canicule meurtrière en 2003, un nouveau ministre médecin de la nouvelle majorité a cédé son portefeuille à un autre ministre également médecin qui s'est trouvé confronté à l'exaspération des chirurgiens qui avaient organisé à la fin des vacances d'été de 2004 un exode massif de quelques jours en Angleterre. L'effet médiatique de ce mouvement a donné au rapport DOMERGUE-GIUDICELLI sur la crise de la chirurgie une audience positive avec la création d'un Conseil National de la Chirurgie et la signature de deux relevés de décisions, l'un sur la chirurgie libérale, l'autre sur la chirurgie hospitalière publique. Parallèlement, l'UCCSF a pu se prononcer négativement sur le projet de la CCAM qui était sur le point d'être avalisée sans méfiance par tous les autres partenaires.
Au seuil de l'année 2005, le gouvernement pressé d'obtenir un accord général, accélère les pourparlers pour la mise en œuvre d'une politique de maîtrise des dépenses d'assurance-maladie. Nul ne peut prévoir l'issue de cette ultime tentative.
 
Décembre 2007 : d'une République à la suivante ?
Les événements se sont inexorablement succédés et malgré les "réformettes", souvent improvisées, le malaise médico-socio-hospitalier s'est poursuivi.
Ainsi, par exemple le fameux dossier médical personnel du patient censé "mettre fin au tourisme médical et réduire les coûts", en chantier depuis trois ans, a été ajourné sine die après plusieurs reports et des investissements déjà prohibitifs. La F.M.C stagne toujours et le déficit de l'Assurance Maladie se creuse imperturbablement malgré une réduction progressive des prestations de médecine ambulatoire à cotisations constantes.
La suppression de la sélection des spécialistes par concours, la généralisation des 35 heures à l'hôpital public, le risque judiciaire permanent et l'évolution des mentalités ont conjointement contribué à fragiliser les différentes filières de soins.
Le modèle statutaire rigide du secteur public, incapable de s'adapter aux circonstances et aux transformations nécessaires, a confirmé un rapport qualité-prix défavorable par rapport à celui de l'hospitalisation privée conventionnée plus souple et plus réactive, mais dont la douloureuse restructuration n'a été réussie qu'au prix de la réduction drastique du nombre des établissements par regroupements, absorptions ou disparitions corps et biens !
De 1070 en 1985, on ne comptait plus en effet que 660 cliniques MCO en 2005 soit une réduction de 38 % environ en 20 ans !
Par contre, leur capacité a augmenté et avec une durée de séjour encore réduite, ces établissements regroupés dans des chaînes de cliniques On dénombre en France métropolitaine 5 chaînes en 2007 d'importance inégale. (N.D.L.R.) disposant de capitaux de provenance diverses; investisssent dans des équipements rentables et, grâce à un "management moderne", essaient de se montrer toujours plus compétititives.
 
La répartition des responsabilités
Les pouvoirs publics et les organismes responsables de la couverture sociale de la population sont obsédés par le maintien des grands équilibres économiques et financiers du système mis en place en 1945. Sauf au terme de courtes périodes, ce système a toujours été plus ou moins gravement déficitaire. Tel qu'il est conçu, il le restera pour les nombreuses raisons maintes fois évoquées.
Par contre, la diversité et la nature des situations nées de la rencontre d'une "confiance et d'une conscience" sont propres à la relation particulière du Praticien, isolé ou exerçant en équipe, au chevet de son Patient, mieux informé et de plus en plus exigeant Son seul porte-parole reste ce praticien que la politique de démédicalisation a réduit progressivement à la position de simple agent technique d'exécution !
Cotisant à un régime obligatoire de couverture sociale exerçant un monopole sur une clientèle captive, l'Assuré n'est plus jamais directement consulté puisque les dernières élections sociales remontent à 1983… et ceux qui se prétendent leurs représentants (sic) se sont tout simplement auto-proclamés sans aucune légitimité.
C'est pourquoi la formule du contrat tripartite proposée en vain depuis 1974 (!) entre les trois partenaires indissociables réunissant les gestionnaires de plateaux techniques, les praticiens-utilisateurs au bénéfice de leurs patients et les organismes payeurs, parait devoir enfin s'imposer.
Pour réaliser cette architecture simple, il faudrait surmonter l'autoritarisme implicite mais constant du seul détenteur du pouvoir réel, c'est-à-dire l'organisme qui redistribue, selon une idéologie collectiviste, les cotisations qu'il prélève.
Après un premier septennat suivi d'un quinquennat complet, le Président sortant a du s'effacer en Mai 2007 devant un successeur impétueux qui semble bien décidé à corriger toutes les dérives de la 5ème République depuis 1958, préparant ainsi l'avènement de la République suivante …
En fait, tout le système de protection sociale créé en 1945 dans un contexte historique particulier est devenu pléthorique. Il n'est plus adapté à l'évolution économique et technique de la société industrialisée, mondialisée et concurrentielle.
On peut s'attendre à certains changements; à des comportements différents; voire même une transformation profonde et rapide de notre société.
Mais le jugement de l'Histoire ne sera révélé qu'à la fin du siècle qui vient juste de commencer !