Le Monde dimanche 19 - lundi 20 novembre 2000 et du 26-27 novembre 2000. Le Figaro 10 jan 2001, Commentaires sur "l'arrêt PERRUCHE."
L'arrêt "de principe" rendu en séance plénière le 17 novembre 2000 par la Cour de Cassation est appelé à influencer profondément et peut-être définitivement les conceptions médicales, morales, philosophiques, religieuses, socio-politiques mêmes de l'humanité tout entière sur la vie et son corollaire, la mort.
Un jeune garçon lourdement handicapé à la suite d'une erreur de diagnostic médical et de laboratoire (une rubéole méconnue chez sa mère) s'est vu attribuer une indemnité en réparation du préjudice d'avoir été laissé en vie, au lieu d'avoir été supprimé par un avortement : loi de 1975, complétée en 1994, suivant laquelle "une anomalie d'une particulière gravité et au-dessus de toute possibilité thérapeutique" pouvait justifier l'indication d'une IVG. Rappelons une fois encore que le terme d'IVG masque pudiquement l'acte, puisque l'avortement est bien un acte volontaire, mais définitif, et non un acte seulement interrompu, laissant supposer qu'on peut poursuivre la grossesse comme un discours ou un voyage momentanément suspendu.
Personne ne conteste ni la faute médicale, ni l'erreur de laboratoire pour lesquelles les parents avaient été d'ailleurs indemnisés dès 1992.
Personne ne conteste non plus l'autorité suprême de la Cour de Cassation qui interprète et applique le Droit.
Par contre, on est conduit à s'interroger sur les conséquences induites par cet arrêt sur la valeur marchande de la vie elle-même et le droit à réparation si elle n'est pas conforme au modèle requis par la Société.
Laisser vivre un individu porteur d'un futur handicap décelé à temps, constitue désormais un préjudice indemnisable, au même titre qu'une marchandise non - conforme.
La porte de l'eugénisme, entrebâillée par la loi de 1975, vient de s'ouvrir à deux battants : il est devenu de fait, institutionnel, selon cette nouvelle jurisprudence.
Malheur aux professionnels de santé qui n'auront pas décelé à temps la cause d'une malformation éventuelle chez un foetus : ils seront pécuniairement responsables pour ne pas avoir permis à sa mère d'exercer son droit d'éliminer préventivement son enfant, à défaut d'avoir prescrit un avortement devenu thérapeutique par suppression d'un handicapé considéré désormais comme porteur d'une maladie, voire d'une tare incurable.
On peut prévoir dès maintenant l'onde de choc déclanchée imprudemment par la Cour lorsqu'on veut bien se rappeler qu'un grand nombre de handicapés ont surmonté leur infirmité et apporté leur contribution au développement et à l'épanouissement de la collectivité.
Sous la pression d'une opinion publique effrayée à juste titre par cet arrêt et ses dérives possibles, le législateur pourrait être saisi pour introduire dans la loi une disposition s'opposant à toute indemnisation d'un individu du simple fait de sa naissance, quel que soit le handicap dont il serait porteur.