Parallèlement aux progrès techniques qui ont considérablement amélioré le bien-être des patients et aussi allégé la tâche des équipes soignantes avec le lever précoce, la prévention des escarres, la surveillance électronique des opérés notamment, un glissement progressif vers l'amélioration des conditions de travail et un meilleur cadre de vie a entrainé dans toutes les catégories des personnels de santé à des degrés divers, une tendance à alléger la pénibilité du travail qui était jusqu'alors dans ce secteur professionnel considéré comme une sujétion normale au service du patient.
Peu à peu, la tendance à la réduction du temps de travail posté du monde industriel a suivi la généralisation du plein-temps hospitalier et sa transposition dans les statuts des personnels même médicaux. Le médecin qui par "vocation" ne comptait pas son temps est devenu attentif à ses obligations statutaires qu'il a souhaité alléger en y introduisant une composante horaire, encore impensable au milieu du siècle.
Le législateur a eu la surprise de constater que la nature même de l'exercice médical allait profondément changer. L'exemple le plus caractéristique est illustré par la laborieuse recherche d'un statut viable - c'est à dire accepté par tous - de l'astreinte et de la garde hospitalière. Pendant 32 ans, depuis 1968 date de la première commission mise en place pour rédiger un premier statut 5 ans plus tard, en 1973 qui s'est vite révélé inapplicable, la puissance publique a élaboré d'innombrables correctifs, pour satisfaire des revendications catégorielles conçues à partir d'une dérive conceptuelle conduisant inévitablement à l'horloge pointeuse
Nous avons eu beau rappeler en effet l'axiome suivant :
" Un cadre est recruté et rémunéré pour une fonction et non pour un travail horaire "
Nous n'avons jamais pu nous faire entendre par ceux qui se sont considérés comme des agents d'un service public et non comme des cadres responsables d'une mission précise.
L'effet des 35 heures qui tend à s'imposer à l'hôpital, véritable industrie de main-d'oeuvre, me parait incompatible avec la place et le rôle du corps médical dans la société contemporaine telle que ma génération la concevait au début de ma formation. Je conçois naturellement qu'une certaine évolution s'est imposée, mais les méthodes utilisées par la génération actuelle (pétitions, défilés, menaces de grèves et même passage à l'acte) s'apparentent aux moyens utilisés par les syndicats de salariés qui n'ont pas, vis à vis de la population, les mêmes responsabilités ni les contraintes morales d'un médecin devant son patient.
En clair, peut-on imaginer un chirurgien arrêter son intervention en cours parce qu'il est 18h30 pour céder la place à son collègue de garde, prêt à la relève, puis partir en week-end serein, sans avoir revu son patient jusqu'au lundi suivant ?. Cette division d'un travail dépersonnalisé deviendra peut-être la règle dans l'avenir, mais elle sera mal acceptée par la génération de transition à laquelle j'ai appartenu.