Comme nous l'avons indiqué dans le chapitre précédent sur l'avortement, l'euthanasie devait fatalement apparaître dans les objectifs d'une société contemporaine soucieuse d'abréger le plus dignement possible les souffrances d'une fin de vie.

 

Cette orientation s'est imposée à notre COLLEGE d'une façon inattendue à l'occasion d'un procès.

 

Lors de l'Assemblée Générale du Collège National des Chirurgiens Français du 24 septembre 1984, notre ami André WYNEN avait prononcé un discours sur les "implications éthiques de la maîtrise des dépenses de santé" qui l'ont conduit à évoquer les thèses de Konrad LORENZ dont s'est inspiré le gouvernement du IIIème Reich en 1938.

 

Cet exposé, qui obtint un très vif succès, fut reproduit par "PROFILS", journal fondé et animé par Bernard Claude SAVY qui était déjà en procès avec Jacques ATTALI, à la suite d'un tract édité par l'UNAM, laissant entendre par des citations précises que le Conseiller spécial du Président de la République était favorable, pour des raisons économiques, à l'euthanasie des vieillards.

 

La reproduction du discours du Dr André WYNEN dans les colonnes de "PROFILS" et les commentaires qui l'accompagnaient entraîna un nouveau procès en diffamation intenté par Jacques ATTALI contre B.C. SAVY, M Pierre BOUNIOL, le journaliste qui "couvrait" l'Assemblée Générale du COLLEGE et le Dr Jean GOREUX, Directeur de "PROFILS"

 

Ce procès fut appelé à l'audience du 5 novembre 1985 devant la 17ème Chambre du Tribunal de Grande Instance de PARIS. Le Collège étant cité comme témoin, j'ai déclaré à la barre :

 

" Chaque année, le Collège invite à son Assemblée Générale une personnalité chirurgicale éminente. En Septembre 1984, le Dr André WYNEN, chirurgien belge, Secrétaire Général de l'Association Médicale Mondiale avait choisi de traiter "les implications éthiques de la maîtrise des dépenses". Son exposé a été suivi avec un vif intérêt par l'Assemblée composée de chirurgiens et de journalistes. Il a été enregistré et publié dans nos "Cahiers de Chirurgie". Notons au passage que nous aurions pu être poursuivis comme "PROFILS"…

 

Cette affaire soulève pour nous deux questions :

 

La première s'adresse à la conscience des chirurgiens : l'euthanasie sera-t-elle induite par des considérations économiques s'imposant aux responsables politiques ?

 

La seconde concerne la liberté de notre information et les risques judiciaires auxquels nous sommes exposés en reproduisant dans notre presse professionnelle les propos tenus publiquement par nos invités.

 

Dans le contexte juridique des procès précédents, le délit de diffamation fut néanmoins retenu par le Tribunal et le Dr B.C. SAVY et consorts furent lourdement condamnés.

 

Ils ont interjeté appel. Je n'en ai jamais su le résultat, les deux avocats, Me Yves PARIS et Me Bernard CLEMENT, et B.C. SAVY lui-même étant décédés depuis.

 

Le Dr André WYNEN, qui s'était spécialement déplacé de Belgique pour apporter son témoignage, a très brillamment répondu à toutes les questions du Tribunal, du Ministère Public et de l'avocat de Jacques ATTALI, Me KIEJMANN, tant sur la forme que sur le fond rappelant les principes fondamentaux de la Charte Médicale en matière de protection de la vie.

 

Rappelons la position officielle de l'Ordre National des Médecins dans sa

 

Déclaration sur l'euthanasie
à propos de l'art.20 du Code de déontologie

 

Certains écrits récents et des propos tenus à la télévision sur l'euthanasie amènent le Conseil National de l'Ordre à faire la mise au point suivante :

Dans ces écrits et ces propos, l'expression "aider à mourir" a été employée ; elle est ambiguë: elle crée et entretient une confusion entre l'assistance médicale aux agonisants (un des devoirs les plus importants du médecin) et l' "euthanasie active" qui est un meurtre par pitié ou sur demande.

Une telle confusion est inadmissible.

"Aider à mourir" oui s'il s'agit d'apaiser les douleurs et l'angoisse, d'apporter le plus possible de confort et de réconfort à celui qui va mourir. Oui aussi, s'il s'agit de s'abstenir d'un traitement pénible ou d'y mettre fin, lorsqu'il est inutile, dans un cas désespéré.

Non, si par cette expression on entend suggérer d'achever le malade ou de l'aider à se suicider. La médecine n'est pas faite pour cela, le médecin n'a pas ce pouvoir, ni dans la loi, ni dans la règle déontologique.

Le médecin doit s'efforcer d'apaiser les souffrances de son malade, il n'a pas le droit de provoquer délibérément sa mort. Un médecin est gravement répréhensible s'il manque à cet art. 20 de notre Code :

  • soit en n'apportant pas aux mourants l'assistance médicale et les soulagements qu'elle peut leur donner

  • soit en s'arrogeant le droit exorbitant d'arrêter volontairement une vie humaine.

Texte adopté par le Conseil National le 5 juillet 1985

(Bulletin de l'Ordre n°8, 1985)

 

Comme pour l'avortement, un vaste mouvement d'opinion s'est développé avec l'aide des médias.

 

On observera qu'il est soutenu par les mêmes milieux qui militent simultanément en faveur de l'avortement et paradoxalement, pour l'abolition de la peine de mort...

 

Comme l'euthanasie est devenue au fil du temps un sujet presque banalisé par les médias, il est instructif de se reporter au texte qui est incontestablement à l'origine du conflit qui a opposé le Dr. Bernard Claude SAVY, Président de l'UNAM et député de la Nièvre (apparenté R.P.R.) à M. Jacques ATTALI, conseiller spécial du Président de la République.

 

L'extrait de l'opinion de M. Jacques ATTALI sur l'Euthanasie, sujet hautement controversé, est tiré intégralement des pages 273, 274 et 275 de l'ouvrage "L'avenir de la vie" (entretien avec le Dr. Michel Salomon) publié en 1981 aux éditions Seghers (432 pages), reproduit dans le n°664 de "Profils Médico-Sociaux" du 28 janvier 1982 et repris dans un tract de l'UNAS largement diffusé.

 

" L'euthanasie sera un des instruments essentiels de nos Sociétés futures dans tous les cas de figure. Dans une logique socialiste pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste, c'est la liberté, et la liberté fondamentale, c'est le suicide; en conséquence, le droit au suicide direct ou indirect est donc une valeur absolue dans ce type de Société. Dans une société capitaliste, des machines à tuer, des prothèses qui permettront d'éliminer la vie lorsqu'elle sera devenue trop insupportable ou économiquement trop coûteuse verront le jour et seront de pratique courante. Je pense donc que l'euthanasie, qu'elle soit une valeur de liberté ou une marchandise, sera une des règles de la Société future."

 

Bernard Claude SAVY conclut cette sorte de profession de foi, non pas seulement comme une boutade qui prend tout son sens dans une société déficitaire puisqu'un vieux ne rapporte plus, mais comme une doctrine opposée, en tant que socialiste, à l'allongement de la durée de la vie qualifiée de simple fantasme dans une gérontocratie, "le marché des vieux n'étant pas solvable" !

 

Interrogé par le Club de la presse le 17 janvier 1982 sur les propos tenus par l'universitaire J. ATTALI prononcés au nom du parti socialiste (alors dans l'opposition) avant de devenir après 1981 le Conseiller spécial de l'Elysée, ce dernier s'est défendu en prétendant que les propos ainsi reproduits étaient tronqués et que la question avait été rapportée d'une façon "ignoble" laissant entendre que leur auteur était favorable "au génocide des vieux", expression qui aurait été déjà utilisée par le journal Minute sous le titre "la solution finale de J. Attali" et par le Figaro-Magazine "Jacques Attali propose l'euthanasie comme mode de règlement des problèmes de la Sécurité Sociale".

 

A la lecture de tous les documents rapportés intégralement par le Quotidien du Médecin (n° 2618 du 4 février 1982) et les commentaires de la presse quotidienne (notamment Le Figaro du 4 février 1982), Jacques Attali restera aux yeux de l'opinion comme un partisan déterminé de l'euthanasie pour des raisons à la fois politiques et économiques et dans cette perspective, le suicide demeure la forme achevée de la liberté individuelle d'inspiration socialiste ! La « disparition » récente de la mère d'un ancien Premier Ministre s'incrit dans cette conception.