La médecine française qui est - dit-on - "la meilleure du monde", au moins au plan tehcnico-scientifique, traverse en réalité depuis un bon tiers de siècle une insidieuse dégradation du fait d'une crise prolongée ponctuée de mouvements de grève sectoriels mais de plus en plus fréquents et radicaux. Cette crise larvée mais permanente du monde de la santé se perpétue et s'étend sans que la "politique de rustines" menée jusqu'à présent par les gouvernants de tous bords n'approche du résultat escompté par les économistes.
Les progrès techniques fulgurants, le consumérisme généralisé, l'allongement de l'espérance de vie ont régulièrement bousculé toutes les prévisions budgétaires malgré une avalanche de travaux analytiques ou prospectifs qui ont rarement dépassé le stade des traditionnelles propositions ou injonctions du Commissariat au Plan. La Cour des Comptes de son côté dénonce périodiquement les erreurs conceptuelles ou les abus manifestes à partir de statistiques dont la fiabilité est trop souvent douteuse. Ses recommandations demeurent malheureusement sans effet.
Un certain nombre d'auteurs déplorent régulièrement « l'absence de politique de Santé ».
En réalité, la politique à la fois généreuse et ambitieuse de la protection sociale adoptée naguère par le Conseil National de la Résistance et appliquée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans un pays ruiné a été constamment tributaire des capacités financières de sa mise en oeuvre sans jamais atteindre l'équilibre entre ses objectifs et ses moyens, même lorsque la prospérité fut rétablie.
Schématiquement, on peut isoler deux secteurs distincts de la Santé :
La médecine de ville
Pour une population de 40 millions d'habitants, on comptait approximativement en 1950 30.000 médecins répartis en 20.000 généralistes et 8 à 10.000 (?) spécialistes.
Pour 60 millions d'habitants en 1999, on comptait 60.000 généralistes et 53.000 spécialistes.
La médecine de ville a du attendre 37 ans pour sortir du moule conventionnel unique et inextensible de 1960 pour des conventions séparées depuis 1997 conclues entre généralistes libéraux et Caisses, brèche que le rapport des Sages devrait permettre d'élargir et d'adapter aux réalités du terrain par des accords spécifiques dits "de branche" à l'adresse des divers "métiers" rassemblant des groupes homogènes de spécialistes. Une plus large prescription de médicaments génériques devrait permettre de dégager des économies substantielles. On va aussi supprimer le remboursement des visites "non médicalement justifiées".
On répète à l'envi les bienfaits de la prévention. Or, son rendement est faible et elle est connue pour être très coûteuse !
La permanence des soins et la régulation des urgences entre ville et hôpital va nécessiter une nouvelle rédaction de l'art.77 du Code de Déontologie et une organisation articulée avec le Centre 15.
L'Hôpital public
Avec les génériques, c'est l'une des deux principales "niches" d'économies potentielles, peut-être même la plus prometteuse, selon les chiffres qui suivent :
Sur les 148 milliards de dépenses de santé, l'hôpital a coûté en 2001, 57,3 milliards d'euros soit au minimum 40% de plus que l'hospitalisation privée qui pourtant réalise 60% de la totalité des actes.
Même si le rapprochement est osé, le mammouth de l'Education Nationale est bien le jumeau de celui de l'Hôpital public, avec son gigantisme, son personnel démotivé (72 % du budget), sa pénurie d'infirmières et de médecins dans certaines spécialités (anesthésie, obstétriciens, chirurgiens digestifs), l'absence de coordination entre médecine de ville et urgences hospitalières, ses infections nosocomiales, sa déshumanisation progressive sur fond de 35 heures et pour couronner le tout, dans un secteur qui travaille en permanence 24 h/24 à longueur d'année, contrairement à l'Education Nationale...
On remarquera que depuis la loi de 1984, le directeur non médecin est devenu le supérieur hiérarchique du médecin hospitalier, tous deux étant pourtant nommés par le ministre. Ce tour de passe-passe marque la généralisation d'une "démédicalisation"  préoccupante de tout le système de santé qui avait commencé en 1962, lors de la réforme des services extérieurs du Ministère, par la suppression du pouvoir de décision des Médecins Directeurs de la Santé, ravalés au rang de médecins inspecteurs de la Santé, simples conseillers - écoutés ou non - du Préfet.
Lorsqu'aujourd'hui, M. Bernard BRUNHES, un des quatre Sages (non médecin), s'avise de proposer le retour à la Direction médicale des hôpitaux tant combattue par les gestionnaires non médecins qui ont supplanté les médecins, on ne peut que souscrire à cette proposition que nous avions naguère courageusement défendue, mais sans succès, contre les hospitalo-universitaires qui refusaient "d'aller au charbon", laissant le soin de se salir les mains "à l'intendance (qui) suivra".
L'Hôpital n'est pas une entreprise comme une autre. La chaîne de soins n'est pas une chaîne de voitures. Sa composante humaine exige une présence médicale, mais bien entendu, enrichie de connaissances en gestion.
Les Centres de lutte contre le cancer et les hôpitaux militaires sont les derniers en France à posséder à leur tête des Médecins-Directeurs assistés de gestionnaires. Nul n'a jamais entendu proférer la moindre critique sérieuse à leur sujet.
Quelles solutions ?
Comment concilier tant de paramètres contradictoires ?
Le système de protection sociale institué au lendemain de la Seconde guerre mondiale tire ses lointaines origines des groupements mutualistes au sein d’une profession ou d'un groupe social exerçant spontanément un auto-contrôle interne.
Avec le système confortable du prélèvement obligatoire des cotisations à la source sur la feuille de paie du salarié, du tiers payant médical et d’un libre choix illimité, l'assuré a perdu toute notion de ses propres responsabilités dans un système collectivisé et anonyme d'ayants droits dont il est devenu solidaire.
Chaque assuré veut naturellement avoir à sa disposition le meilleur (?) médecin, si possible titré, bénéficier des soins les plus modernes, les plus rapides et naturellement gratuits. Il cotise et entend en avoir pour son argent. Il compte profiter pleinement de sa protection obligatoire et... si possible un peu au delà ...!
Au fil des années, la couverture sociale s'est progressivement étendue de la maladie-invalidité, à la vieillesse et à la protection de la famille, des seuls salariés de l'industrie et du commerce à l'origine à presque toute la population à la fin du XXème siècle. Il va de soi que les charges se sont accrues et leur répartition de plus en plus étendues. Les accords avec le corps médical et les autres professionnels de santé ont toujours été laborieux et souvent violés de part et d’autre.
Peu à peu, la Sécurité Sociale s’est éloignée du principe de l'Assurance pour devenir un système de transferts sociaux et de redistribution des revenus. Elle devrait s'efforcer de revenir au concept d'origine d'assureur, quitte à instituer le fameux ticket modérateur d'ordre public auquel le gouvernement Raymond BARRE avait du renoncer précipitamment en 1978 ....
Enfin, la Réforme Debré destinée à l'origine à supprimer la dualité hôpital-Faculté par la généralisation du plein temps, répondait en partie a l'objectif attendu par les patients et les avantages espérés par le corps médical lui-même qui pouvait même être autorisé à exercer en privé dans un établissement public...!
Rétablir la confiance entre les partenaires ?
L'Assurance-maladie cherche à regagner la confiance d'un corps médical quelque peu méfiant du fait de la stagnation prolongée des lettres-clés Voir en annexe les graphiques d'évolution des tarifs des lettres clés des médecins libéraux et des multiples contraintes bureaucratiques qu'il doit assumer. L'exemple le plus criant est celui du tarif d'autorité appliqué depuis le 22 novembre 1960 pour le remboursement des actes réalisés par les praticiens restés hors convention. Il est encore applicable à quelques praticiens mais n'a jamais été réévalué depuis 47 ans !
Le Généraliste a obtenu, à la suite de mouvements revendicatifs dignes et appuyés par l'opinion publique, des revalorisations encore bien modestes des honoraires de base.
Le Spécialiste libéral place tous ses espoirs dans la réouverture « d'espaces de liberté tarifaire ». Malheureusement, la situation financière actuelle de l'Assurance maladie n'augure aucune amélioration. Il ne peut donc espérer pour l'instant que des aménagements indirects, fiscaux par exemple.
Quant aux Spécialistes travaillant en équipe sous contrainte d'un plateau technique lourd, qui subissent des contraintes de plus en plus nombreuses (dites transversalités) avec des honoraires bloqués en réalité depuis plus de 12 ans (pour les spécialistes chirurgicaux), ils se sont engagés dans un préavis de grève de durée illimitée à dater du 4 novembre 2002...!
Sans sous-estimer l'espace de négociation ouvert avec les Caisses, les Spécialistes constatent que les trois autres acteurs de l'hospitalisation - l'Hôpital, les Cliniques et l'Etat - semblent vouloir organiser le futur système d'hospitalisation, mais toujours SANS EUX !
Leur revendication essentielle réside dans leur reconnaissance en tant qu'acteur libéral et indépendant au sein d'un accord de niveau 2 (classification du rapport des Sages) en quadri-partie entre Etat, Caisses, Etablissements publics et privés et Spécialistes.
"L'Etat doit se refaire une réputation d'honnêteté" disait déjà André MALTERRE en 1955. En respectant ses engagements, n'importe quelle organisation retrouverait, avec son crédit, toute son autorité.
Reste le problème de fond qui n'est pas encore résolu bien qu'il soit le plus urgent mais aussi, le plus complexe : Qui nous soignera demain ?
Le médecin qui nous inspirera confiance, même si ce n'est pas le plus savant, mais surtout s'il a acquis une bonne expérience professionnelle. S'il est spécialiste d'actes techniques, il est souhaitable qu'il ait suivi un cursus à la fois complet et européen dans sa discipline, et qu'il se recycle régulièrement.
Malheureusement, de nombreux jeunes français se détournent des spécialités citées plus haut, trop longtemps maltraitées par les tutelles et parvenues à un déclin démographique sévère et rapide.
C'est donc bien le généraliste de famille qui sera le mieux placé pour conseiller un choix stratégique ou thérapeutique devenu de plus en plus difficile.
Comment serons nous soignés ?
Chaque pays, chaque province même, a une histoire qui constitue la trame de sa culture. Au moment où l'Europe se construit, l'art de soigner peut conserver certaines particularités, mais la maladie ne connaît pas de frontières. Or, le système médico-social doit être économiquement et réglementairement harmonisé d'un pays membre à l'autre. Ce sera l'oeuvre du XXIème siècle, en dépit de la fameuse exception française appelée à s'effacer progressivement.
C'est encore le généraliste de famille qui sera le plus qualifié, s'il a acquis une expérience assez longue, pour orienter au mieux son patient à un instant précis et dans une configuration donnée, elle-même appelée à évoluer rapidement.
Si le cas relève de la chirurgie, ou de toute autre spécialité chirurgicale, le généraliste « conseiller » devra s'assurer, dans la mesure du possible, de la compétence du spécialiste choisi, compte tenu de la grande diversité des formations suivies au cours de son parcours professionnel ainsi que de l'expérience acquise. En cas d'urgence, il sera probablement appelé à être particulièrement vigilant.
La confiance du patient ne peut plus ignorer les difficultés que les spécialistes utilisant un plateau technique lourd, et notamment les chirurgiens, ont rencontrées tout au long de leur carrière, victimes d'une incompréhension persistante des « décideurs » liée à leur image toujours flatteuse mais généralement fausse dans l'opinion publique et les medias.
Du fait de leur faible nombre, ils n'ont jamais été réellement pris en compte par les tutelles et les pouvoirs publics lorsqu'ils se livraient à des manifestations de colère et de détresse, comme ci-dessous :

Colere

 
Oui, la chirurgie a été délibérément sacrifiée, d'où le titre de ce recueil de souvenirs avec ses lointaines conséquences...