L'évolution de la médecine et de la société sont tellement rapides qu'il est difficile d'élaborer une politique de santé à long ou même seulement à moyen terme. Jusqu'ici, on s'est borné à mettre en place des mesures à court terme, voire même à très court terme.
Certains spécialistes d'économie de la Santé Raymond SOUBIE (Santé 2010) ; J. de KERVASDOUE Carnets de santé de la France in 2000.   ont envisagé divers scénarios. Il n'est pas interdit à un professionnel de terrain sans idée préconçue de livrer quelques réflexions tirées de l'analyse de plusieurs faits, voire d'exemples étrangers résussis.
Etat des lieux : les 7 points principaux
1°) Depuis 1945, la Sécurité Sociale conçue par Pierre LAROQUE a été en perpétuelle recherche de réformes sans résultat tangible pour équilibrer les dépenses aux recettes dans une conjoncture économique, il est vrai, en permanente instabilité.
2°) Sur les 195.000 médecins actuellement en 2000 – 210.000 sont prévus en 2003 (voir le chapitre « Démographie »).    en exercice, 75.000 sont exclusivement salariés à temps plein (hospitaliers ou autres), 25.000 sont salariés à temps partiel (PH. ou attachés des hôpitaux, centres de soins, etc) et 10.000 inclassables en attente d'installation ou d'emploi. On peut donc dire que la moitié du corps médical a une activité salariée. Ce simple constat impose l'étude simultanée de ces deux formes d'exercice et non séparément comme on en a pris l'habitude jusqu'ici.
3°) L'évolution très rapide des techniques médicales et l'efficacité des nouvelles thérapeutiques ont contribué à augmenter l'espérance et la qualité de vie mais aussi parallèlement les dépenses de santé.
4°) L'urbanisation, les personnes seules, les ménages monoparentaux, le travail des femmes, le stress, créent des besoins nouveaux. L'élévation du niveau de vie entraîne un désir de plus grande consommation, y compris dans le domaine de la santé.
5°) L'augmentation des dépenses en valeur absolue est une évolution normale. Elle ne relève pas d'excès ou d'abus - qui certes existent- mais qui n'ont qu'un rôle très relatif, mais sans doute moindre que tous les systèmes d'évaluation, de contrôle, de prévention, d'accréditation...qui mobilisent beaucoup de monde, ne sont jamais chiffrés et n'ont pas encore montré leur efficacité.
Contrairement à une opinion très répandue, le % des dépenses dans le PIB serait pratiquement stable et aurait même tendance à baisser comme dans tous les pays industrialisés. Toutefois, le poids de la protection sociale affaiblit la compétitivité des entreprises qui sont conduites à se délocaliser dans des pays moins protégés mais dont les coûts de production sont faibles et la productivité élevée. Avec les transferts de technologie, il existe à terme une réelle menace pour la survie du tissu industriel occidental, principal, et peut-être seul, soutien de la protection sociale.
6°) La démographie médicale a subi des variations consécutives à des décisions inopportunes: pour freiner les dépenses, on a cherché à réduire le nombre de médecins prescripteurs par des numerus clausus trop stricts et par des rémunérations stagnantes. On a créé ainsi, une pénurie relative dans certaines spécialités ou types d'exercice. Même en corrigeant immédiatement ces déséquilibres, l'effet ne se fera sentir que dans 10 à 15 ans, sauf importations venues de l'Union Européenne ou du tiers monde.
7°) La médecine hospitalière et la médecine de ville sont étroitement imbriquées du seul fait de leur clientèle commune qui fréquente, en vertu du libre choix, l'un ou l'autre secteur, parfois exclusivement, le plus souvent alternativement ou même simultanément comme en cancérologie, par exemple. Pourtant depuis le plan AUBRY, toute l'hospitalisation - publique salariée et privée libérale - relève désormais de l'Etat alors que la CNAMTS devenue UNCAM (Union Nationale des Caisses d'Assurance Maladie) est dorénavant chargée de la médecine dite libérale de ville et non hospitalière. Ce partage de compétences et de responsabilités ne peut se comprendre que s'il précède une hospitalisation entièrement salariée coexistant avec un secteur libéral ambulatoire de ville. C'est à l'évidence le but poursuivi par plusieurs gouvernements successifs depuis la première alternance politique de 1981. Elle nécessitera probablement une longue période transitoire d'adaptation.
Choix d'un système de santé
Naguère, le système fondé sur le principe de l'assurance était théoriquement équilibré par des cotisations salariales et patronales gérées paritairement. Ces charges sociales constituaient un salaire différé reversé aux intéressés sous forme de prestations diverses.
Bénéficiant d'un monopole universel sur une clientèle captive, cette formule d'assurance a évolué progressivement vers un système généralisé d'assistance et de solidarité entre bien portants et malades comportant des soins gratuits financés par une redistribution des revenus et des transferts sociaux. Ils ont été globalisés par la CSG applicable proportionnellement à l'ensemble des revenus, y compris ceux des retraités. Ce n'est plus une contribution sociale généralisée mais un véritable impôt spécial sur le revenu dont la gestion est assurée, avec la CMU, par l'Etat.
Quels sont les choix offerts à la population qui n'est que très indirectement consultée ?
1ère option (avec amélioration du système actuel)
- La population demande un libre accès aux meilleurs soins dispensés par des médecins bien formés et compétents. Elle accepte d'en payer le prix soit directement, soit par ses cotisations soit par l'impôt, au besoin au détriment d'autres dépenses notamment en chirurgie esthétique...!.
2ème option (avec restrictions sur le système actuel)
- La population accepte une limitation des dépenses de santé, quel qu'en soit le mode de financement et/ou un remboursement moindre, éventuellement avec un ticket modérateur d'ordre public Envisagé par le gouvernement BARRE, mais vite retiré devant l’hostilité des syndicats de salariés. . Elle admet que l'accès aux soins soit préalablement autorisé, ou éventuellement soumis à certaines conditions ou encore refusés au-delà d'un certain âge ou d'un certain coût.
3ème option (avec suppression du monopole et prise de responsabilité individuelle)
- La population souhaite s'assurer "à la carte, avec ou sans franchise" par contrats individuels ou familiaux de droit privé pour différents risques (maladie, maternité, invalidité, décès, accident du travail, vieillesse) auprès d'un ou plusieurs assureurs, public (ayant perdu son monopole sur une clientèle captive Jean Pierre DUMONT, un des meilleurs experts de la protection sociale en Europe estime que le monopole dont bénéficie la Sécurité Sociale est appelé à disparaître (Le Quotidien du Médecin n°6353- 8 Oct.1998). Sa préférence irait au système suisse."qui correspondrait au tempérament français, attaché au libre choix" ) ou privés, mutuelles, fonds de prévoyance, librement choisis et éventuellement concurrents Une attestation d'assurance de chaque individu ou famille est rendue obligatoire par l'Etat (comme la carte verte de l'assurance automobile).
La solvabilité de ces organismes de protection sociale du secteur privé et la qualité de leurs prestations sont garantis par l'Etat (autorisations soumises à l'agrément du Ministère des Finances et surveillance assurée par les ministères compétents).
Un impôt de solidarité prélevé par l'Etat finance les soins des indigents ou des non-assurés dans un périmètre à définir.
Période transitoire
Un changement aussi important des habitudes nationales nécessite, après une réflexion approfondie avec la participation directe de la population, au besoin soumise à référendum, une adaptation progressive du système actuel vers une harmonisation des différents régimes de protection sociale dans le cadre européen.
Cas particuliers à incorporer dans un système rénové et diversifié
  • la médecine dite libérale conserve le principe de la rémunération à l'acte sous convention ou accord tarifaire par opposition à la rémunération à la fonction (salariat sous contrat ou statut).
  • l'acte unique thérapeutique et l'acte répétitif d'exploration fonctionnelle qui n'ont pas les mêmes incidences techniques et économiques.
  • la médecine générale, appelée à devenir une spécialité parmi les autres spécialités exercée individuellement en cabinet ou en équipe en milieu hospitalier public ou privé
  • la médecine dite d'urgence constitue une filière spécifique nécessitant d'importants moyens articulés avec d'autres services publics (incendie et police notamment).
  • les 3 formes d'hospitalisation (publique avec médecins salariés sous statuts ou contrats, privée assimilée avec médecins salariés - exceptionnellement rémunérés à l'acte- mais toujours sous convention collective, privée dite commerciale avec médecins libéraux conventionnés rémunérés à l'acte) sont appelées à se rapprocher en application du plan JUPPE de 1996 et à conclure des accords, à l'échelon régional de coopération et de partage des tâches. Les progrès techniques des procédures ambulatoires pourront réduire la part de l'hospitalisation traditionnelle.
La tarification par pathologie doit être applicable également à chacun des 3 secteurs d'hospitalisation. Le recrutement et le type d'activité des praticiens (temps plein, temps partiel ou parcellaire) peuvent être négociés et contractualisés par individu et par spécialité avec le gestionnaire de la structure publique ou privée, comme toutes les autres catégories de personnel.
La refonte du système implique une nouvelle conception rendant sans objet toutes les exceptions instituées naguère (p.ex. le secteur 2 des libéraux sous convention et le secteur privé des hospitaliers à plein-temps).
Le seul préalable repose sur le mode de financement de la protection sociale : c'est un choix politique de société entre l'une des 3 formules citées plus haut.
Conclusion
Au moment où la société se transforme rapidement, le système collectivisé de protection sociale en vigueur depuis bientôt 60 ans est confronté à un phénomène récent : l'accroissement irrésistible et accéléré des dépenses de santé devenu un élément de consommation courante de la population.
S'éloignant des conceptions idéologiques du passé, les orientations du futur seront désormais politico-économiques à l'échelle européenne pendant au moins la première partie du XXIème siècle.
Toutes les hypothèses de travail, même les moins conformistes ou les plus audacieuses, seront les bienvenues.
Sauf événement imprévisible, le choix définitif ne peut être que politique, lorsque les turbulences électorales prévues en France depuis 2001 seront apaisées, pendant le prochain quinquennat, ou le suivant !