Le temps passe très vite et je ne sais pas si j'aurai la possibilité d'achever le travail entrepris : un sérieux ennui de santé survenu au cours de la canicule de l'été 2003 me presse de résumer les derniers soubresauts d'un système de protection sociale institué en 1945 et que j'avais déjà considéré comme "à bout de souffle" dès fin 1986. Cet article publié sous ce titre-choc dans les Cahiers de Chirurgie n° 60-4/1986, p.132-133, me valut une fameuse algarade de la part de Mr René MER qui, depuis la disparition accidentelle de Pierre BELOT, était devenu le véritable "patron" de la FMF, présidée alors par Jean MARCHAND. Cette expression et sa justification n'apparurent progressivement sous les plumes les plus qualifiées que vers 1995/1996.
La situation mondiale
Il est difficile de condenser en quelques lignes quatre années fertiles en événements de nature et de contenus bien différents.
Le 11 septembre 2001 Les attentats meurtriers subis aux USA par les 2 tours du World Trade Center et le Pentagone.   sera probablement retenu comme une date historique marquant le début officiel d'une 3ème guerre réellement mondiale non plus entre deux ou trois groupes de pays mais entre deux grands types de civilisations aux conséquences planétaires imprévisibles.
L'Europe des 6, devenue celle des 12 puis des 15 sera prochainement portée à 25 membres. Sa construction laborieuse a déjà réalisé en 2001, son premier pas important avec la monnaie unique.
La France, après un premier septennat CHIRAC en 1995 et une dissolution ratée en 1998 ayant entraîné un changement brutal de majorité, aborde un quinquennat depuis 2002 avec le même Président, réélu dans des circonstances imprévues et retrouvant une majorité encore plus confortable qu'en 1995... !
Le système médico-social se prépare à quelques réformes
Il a subi les vicissitudes des changements de majorité et des co-habitations successives. Il n'a jamais pu retrouver une stabilité ni entreprendre les réformes nécessaires. Les déficits se sont creusés au fil des années et cette fois, l'Assurance-maladie ne peut plus faire face à ses engagements.
Les causes sont bien connues : les progrès techniques et le vieillissement de la population entraînent une consommation de soins exponentielle qui ne peut être équilibrée par des recettes suffisantes en raison d'un renversement de la conjoncture économique intervenu depuis 2000. Au retour du chômage et des déséquilibres divers aggravés par une politique sociale toujours plus généreuse (réduction à 35 h. de la durée légale du travail et institution de la couverture médicale universelle notamment), le gouvernement RAFFARIN constitué le 20 juin 2002 s'est trouvé dans l'obligation d'entreprendre une véritable réforme de la Sécurité Sociale. Malheureusement, à l'initiative du Pr JF MATTEI, nouveau Ministre de la Santé, dans l'euphorie du changement de majorité, après s'être inconsidérément assuré la sympathie des généralistes par une augmentation presque immédiate du tarif des consultations, le nouveau gouvernement a dû remettre à plus tard la grande réforme annoncée. Il s'est borné, en attendant, à parer au plus pressé en annonçant la réforme de l'Hôpital qui ne sera achevée – en principe – qu'en 2007, après la mise en place de la nouvelle tarification à l'activité interrompant elle-même la tarification par pathologie déjà laborieusement mise en place depuis 2000 …!
Sous les effets conjugués des deux dernières lois KOUCHNER et ABOUT promulguées par le gouvernement JOSPIN et du montant de plus en plus élevé des indemnités allouées par les Tribunaux aux victimes, certains assureurs ont décidé de se retirer du marché du risque civil professionnel provoquant une vive inquiétude des spécialistes et des établissements d'hospitalisation que les mesures palliatives prises en toute hâte par les pouvoirs publics n'ont pas véritablement apaisée.
Sur le terrain conventionnel, l'absence prolongée de convention de spécialistes et l'échec des tentatives de négociations a eu deux effets : le gouvernement a été obligé de prolonger en 2003, le Règlement conventionnel minimal en vigueur depuis 1998 en le complétant de quelques mesures urgentes. Par contre, aucune revalorisation tarifaire ne concernait que les chirurgiens et spécialistes chirurgicaux dont la lettre KC reste bloquée à 13,50 frs depuis avril 1990 et 13,70 frs depuis mars 1995…! La lettre KCC créée à la suite d'une forte pression de l'UCCSF par la Convention séparée de spécialistes du 12 mars 1997 ne sera officielle que le 30 avril 1998 mais avec la même valeur que le KC toujours bloqué à 13,70frs …! Les pouvoirs publics et les Caisses ne cherchent même plus à dissimuler leur surprise derrière le prétexte facile des pesanteurs administratives.
Le PLFSS de 2004 se limite comme les précédents à quelques mesures ponctuelles en attendant la véritable Réforme repoussée à fin 2004 après la réunion des 53 membres nommés du Haut Conseil de l'Assurance-maladie présidé par Mr. Bertrand FRAGONARD, ancien Directeur de la CNAMTS. Un premier rapport est annoncé pour la fin décembre 2003 pour établir un état des lieux au seuil des trois années de travaux prévus.
L'ambiance générale
Il existe un climat d'inquiétude et de découragement étroitement lié à une situation économique dégradée. Quatre facteurs indépendants les uns des autres contribuent à l'entretenir :
  • on assiste à une démédicalisation progressive dans tous les domaines : sur les 53 membres du Haut Conseil, seuls 2 professionnels de santé sont appelés à siéger dans cette nouvelle instance. Déjà, aucun médecin ne siège ès qualité dans le groupe de travail consacré à la tarification à l'activité, alors que le corps médical a perdu sa représentation dans la Commission de la tarification par pathologie qu'il détenait depuis l'origine, dans la Commission de la Nomenclature.
  • la généralisation accélérée du principe dit "de précaution" consécutive à l'affaire du sang contaminé, a conduit une administration principalement soucieuse de dégager préventivement toute responsabilité, à alourdir encore une réglementation déjà complexe qu'elle ne peut faire respecter qu'avec des moyens bureaucratiques nouveaux. Au gré des circonstances, l'administration en profite pour remodeler à son idée des principes généraux déjà admis. Ainsi, par exemple, la mise en place du Plan Cancer réactivé par le Président de la République permet à l'Administration de créer, à travers une recherche de la qualité des soins, une réglementation quantitative des différentes activités des structures et des filières de soins favorisant au passage le secteur public au détriment du secteur libéral.
  • les rivalités syndicales sont exacerbées.. On connaissait depuis longtemps la sévère compétition entre la CGT-FO et la CFDT pour la Présidence de la CNAMTS. Dans le microcosme médical, le binôme formé par la CSMF et le SML, les deux piliers médicaux du fameux G 7 militant pour la convention unique, s'opposait au G 14 qui rassemblait MG France, l'UCCSF et toutes les autres professions de santé, favorables aux conventions séparées. La rupture intervenue fin 2003 entre la CSMF et le SML appelle une recomposition du paysage syndical au gré des sympathies ou des inimitiés de leurs dirigeants et, il faut l'espérer, mieux adapté aux réalités professionnelles du terrain.
  • l'opinion publique enfin efficacement manipulée par les médias et influençant directement les décideurs à tous les niveaux de responsabilité : la population débat en public, en tous lieux, parfois dans la rue, à travers toutes les ondes sur des sujets dits de société ou techniques exigeant un minimum de connaissances. Un simple sondage d'opinion suffit à faire vaciller un gouvernement !
Les perspectives
Dans la situation confuse de la fin de l'année 2003, il est impossible d'anticiper d'un mois sur l'autre et même d'une semaine à l'autre.
Pour l'instant, "dans l'espoir d'avancer dans la remise en ordre de l'assurance-maladie", le gouvernement RAFFARIN s'est borné à régler les affaires courantes en faisant voter un PLFSS Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale   en baisse pour aborder l'année médico-sociale 2004 avec un budget hospitalier en augmentation de 4,45 % (contre 5,3% en 2003) et 3,15% pour les soins de ville (contre 5,6% en 2003). Il espère que les mesures d'accompagnement – en particulier la T2A - amorceront un retour à l'équilibre auquel personne ne croit vraiment.
Par contre, la véritable réforme du système de protection sociale annoncée pour l'automne 2004 n'est même pas encore esquissée par le Haut Conseil….On sait seulement que les cliniques privées devront appliquer la T2A au 1er Octobre 2004 alors que les hôpitaux bénéficieront de plusieurs années de délai, jusqu'en 2010 selon certaines prévisions !
L'avenir
En ce début de 3ème millénaire, il apparaît que le système français de protection sociale né en 1945 au lendemain de la seconde guerre mondiale, mais en gestation depuis 1930, ne peut plus rester isolé malgré ses nombreuses spécificités et l'évolution de plus en plus rapide des techniques de diagnostic et de soins.
Tandis que s'élabore progressivement une structure juridique européenne avec une Constitution appropriée, la mondialisation de l'économie s'est déjà emparée des marchés et des populations intéressées générant au fur et à mesure de nouvelles modalités d'échanges et nécessitant l'élaboration de nouvelles conceptions adaptées aux différentes architectures spontanément issues de ces transformations facilitées par les moyens modernes de communication.
En réalité…
En accord avec J.G. BRUN, il était entendu que je ne participerais plus, sauf imprévu, à aucune négociation officielle. En fait, j'ai continué à participer, à titre officieux cette fois, à diverses réunions de travail dans les Ministères jusqu'à Matignon ainsi que dans les nouveaux et somptueux locaux de la CNAM-TS du 50, rue du Pr André LEMIERRE inaugurés le 21 Septembre 2004 avec un cérémonial inhabituel en présence du Premier Ministre, de deux de ses ministres et d'une foule de personnalités.
J'aurais donc connu toutes les étapes du développement de cette institution par ses sièges successifs de l'avenue Bosquet à l'avenue du Maine, et par conséquent de la place colossale qu'elle occupe dans le pays selon les lois de Parkinson.
Je ne me pose que deux questions
  • la première, cette construction monumentale contribuera-t-elle à réduire le déficit de l'Assurance-maladie ? Dans sa configuration actuelle, c'est impossible !
  • la seconde, quelque peu nostalgique, qui était le Pr André LEMIERRE, ainsi honoré par le nom d'une voie nouvelle dans ce quartier neuf situé à l'extrême limite du XXème arrondissement où se situait l'Hôpital Claude Bernard ? Pas de réponse.
Je me suis alors aperçu que j'étais le seul à me souvenir de ce grand patron (temps-partiel comme tous ceux de sa génération). Il faisait sa visite le matin à 7 heures (vous avez bien lu, à 7 heures). A cette heure là, suivi par sa cohorte d'élèves, stagiaires, externes, internes, assistants, il enjambait en s'excusant (car il était d'une extrême politesse) la fille de salle qui passait sa serpillière sur le carrelage de son service auquel il avait su donner une réputation nationale et même internationale.
Il est grand temps de cesser d'évoquer un passé bien révolu et qui de surcroît n'intéresse plus personne.