Certains journalistes rapprochent à 20 ans de distance la chute du gouvernement de Raymond BARRE et celle du gouvernement d'Alain JUPPE qu'ils attribuent tantôt à la colère des médecins, tantôt à la présence de Jacques BARROT qui fut, dans les deux cas, en charge des conventions et des contraintes imposées au corps médical.
A mon avis, la raison profonde de ces accès de mauvaise humeur du corps médical doit être recherchée chaque fois dans la psychologie des dirigeants de l'époque.
Dans le premier cas, le Président de la FMF, le Dr Pierre BELOT avait persuadé en 1980 le Ministre Jacques BARROT, son Secrétaire d'Etat Jean FARGE et le tout puissant Président de la CNAM, Maurice DERLIN (CGT-F.O.), d'instituer à titre expérimental le secteur 2, initiative qui avait profondément irrité le Président de la CSMF, le Dr. Jacques MONIER qui régnait sans partage sur toute la médecine libérale. Dès lors que la toute jeune FMF venait de proposer d'instituer "une soupape" dans le système conventionnel qui était à la fois accueillie avec intérêt par le gouvernement et avec espoir par une partie du corps médical libéral, la CSMF se montra immédiatement opposée à cette innovation et, dans un défilé improvisé, montra son hostilité. Elle se heurta à un barrage de CRS sur le pont Alexandre III et la bousculade fut largement médiatisée contre le gouvernement qui "avait fait matraquer les médecins", slogan qui contribua à son revers électoral.
Mais, deux ans plus tard, comprenant l'intérêt du secteur 2, la CSMF qui l'avait vigoureusement combattu Deux raisons expliquent cette hostilité: l'idée venait de sa rivale, la FMF, et le secteur II introduisait une catégorie nouvelle pouvant menacer le principe de la convention unique. , en recommanda largement l'usage, ce qui entraîna pour la Convention de 1990, des conditions de plus en plus restrictives d'accès...
Dans le second cas, le plan JUPPE qui avait été salué le 15 novembre 1995 par une large partie de l'opinion fut combattu avec la dernière énergie par la CSMF dès que son contenu conventionnel fut signé par l'UCCSF, syndicat reconnu représentatif de fraîche date et qui avait eu l'audace inimaginable d'appliquer son objectif bien connu visant à séparer les généralistes des spécialistes dans une structure nouvelle et originale que la loi de 1990 avait rendue possible 7 années plus tôt. Par cette signature, la CSMF risquait de perdre l' hégémonie qu'elle exerçait depuis 1971 sur tout le système conventionnel.
La preuve ? Le premier prétexte fut trouvé auprès des chefs de clinique pour leur faire attribuer un moratoire porté progressivement à 7 ans pendant toute la durée de leur installation. Jusqu'à ce qu'ils atteignent leur régime de croisière, ils seraient dispensés de toute participation à la mise en place du plan JUPPE.
La question des sanctions collectives ne fut soulevée que bien plus tard, lorsque les défilés de blouses blanches de jeunes et futurs médecins soigneusement médiatisés firent basculer l'opinion publique contre le plan JUPPE avec toutes les conséquences qui s'en suivirent.
Le battement d'aile de papillon avec Ed. LORENZ L'Effet papillon. David Ruelle. Mission 2000 (Le Monde 22 Août 2000 p. 14).
Les spécialistes de la météorologie affirment que les simples battements d'ailes d'un papillon dans la forêt amazonienne peuvent - en théorie du moins - déclencher une série d'événements naturels qui s'enchaînent les uns aux autres pour aboutir, quelques semaines ou quelques mois plus tard, à des tornades avec inondations cataclysmiques en Extrême Orient ou dans une contrée éloignée…
On peut assimiler dans une certaine mesure la signature apposée le 12 mars 1997 par l'UCCSF seule au bas de la première Convention de spécialistes à ce fameux battement d'aile de papillon imaginaire qui a provoqué la perte du gouvernement JUPPE, la dissolution de l'Assemblée Nationale, l'émergence d'une nouvelle majorité et d'un nouveau gouvernement qui a conservé les grandes lignes du plan de son prédécesseur...
La question des reversements qui était restée théorique, et qui de plus figurait déjà dans la Convention précédente de 1993, servit de paravent à la véritable raison de cette fronde, la perte du monopole dont la CSMF bénéficiait depuis 26 ans sur l'ensemble du système....
Comme la sagesse populaire l'avait depuis longtemps constaté, à petite cause, grands effets !
J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec M. Alain JUPPE à l'issue de la réunion de médecins invités la 10 juillet 2001 à la Mairie du 8ème arrondissement Cette réunion s'est tenue à la Mairie du VIII ème arr. à l'initiative du Club 3P présidé par le Dr Louis SERFATY, ancien "patron" de la FHP, ce qui explique la proximité du lieu choisi pour recevoir et entendre l'ex Premier Ministre. . Il avait prononcé devant une salle comble un discours s'efforçant d'expliquer sa politique de santé qui avait été si mal comprise. Il sollicitait l'indulgence de son auditoire pour les erreurs qu'il avait pu commettre de bonne foi. Il répondit avec pertinence, modestie et humilité aux questions de la salle. Profitant de quelques instants où il était seul, j'ai pu lui expliquer que, selon nous, l'origine de la fronde avait été provoquée par notre signature qui avait brisé le moule rigide et inextensible de la Convention unique et ses conséquences sur le monopole syndical.
Il a paru surpris, écarquillant les yeux et plissant son front comme s'il n'avait jamais envisagé cette explication. D'abord dubitatif, il est resté perplexe sans répondre pendant quelques secondes, lorsque quelqu'un d'autre lui a adressé la parole…