A peine nommé en 1995, le gouvernement JUPPE a trouvé une Assurance-maladie au bord de la faillite avec un déficit prévisionnel de 100 milliards de francs et une dette cumulée du seul régime général atteignant au 1er janvier 1996 environ de 250 milliards de frs….!
En relisant la collection des Cahiers de Chirurgie et des circulaires adressées régulièrement aux membres du COLLEGE NATIONAL des CHIRURGIENS FRANÇAIS, cette situation était prévisible depuis longtemps et devait aboutir inexorablement à une crise majeure appelant l'abandon des "replâtrages" cycliques du passé pour une véritable réforme de fond.
Parmi les conseillers qui ont préparé la réforme attendue, dont Raymond SOUBIE, je tiens à rappeler le rôle déterminant tenu par Antoine DURRLEMAN avec lequel j'avais eu naguère plusieurs entretiens lorsqu'il était, à MATIGNON, l'adjoint de Mme Marie-Hélène BERARD, alors conseillère sociale du Premier Ministre Jacques CHIRAC (1986-1988) . 8 ans plus tard, en 1995, je le retrouve cette fois au cabinet du nouveau Premier Ministre Alain JUPPE (1995 -1997)   dont il est alors le Conseiller social et je m'aperçois avec un vif plaisir qu'il se souvenait parfaitement de nos arguments concernant notamment l'assurance-maladie, la crise hospitalière suite à l'échec de la départementalisation et l'avenir déjà sinistre la chirurgie libérale.
N'allez pas croire que je me flatte d'avoir inspiré le plan JUPPE, mais je suis convaincu que certaines proposions doctrinales du COLLEGE puis de l'UCCSF L'idée d'un budget annuel de l'assurance-maladie voté par le Parlement et surtout la notion de conventions séparées.  Jacques BARROT et Hervé GAYMARD   sur les résultats de l'enquête officielle. ont probablement contribué entre autres, à la reconnaissance de notre première représentativité décidée en février 1997 par les deux ministres en charge.
Rappel des grandes lignes de la Réforme JUPPE
Annoncées dans un discours à l'Assemblée Nationale de novembre 1995 resté célèbre et salué par une exceptionnelle "standing ovation", la Réforme JUPPE fut publiée, dans 3 Ordonnances occupant 38 pages du J.O. du 25 avril 1996.
1) La loi de finances de la Sécurité Sociale ne pouvait être instituée qu'après une révision constitutionnelle. Elle permettait d'exercer enfin un contrôle parlementaire sur le budget social prévisionnel . On remarquera que cette réforme avait déjà été envisagée dès 1980 par le Dr. Henry BERGER, Président de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée Nationale qui avait déposé le 14 juin 1979, soit 17 ans plus tôt, la proposition de loi 1164. Mais cette proposition avait alors été vivement combattue par les syndicats de salariés…
2) La Réforme hospitalière comportait trois principes :
  • l'institution des Agences Régionales de l'Hospitalisation (ARH), placées sous l'autorité d'un Directeur nommé par le gouvernement appelées à coordonner tous les établissements d'hospitalisation, publics, privés et PSPH, les DASS, les DRASS, l'Assurance maladie, et enfin le corps médical libéral regroupé dans les URML issues des élections instituées par la loi TEULADE.
  • l'évaluation conduisant à l'accréditation des structures et des professions de santé confiée à l'ANAES, institution chargée globalement de la recherche de la qualité
  • la contractualisation d'objectifs et de moyens entre les hôpitaux, le secteur privé et les ARH.avec la création de centres de responsabilité pouvant déboucher sur une véritable coopération jusqu'alors juridiquement et culturellement impossible.
L'UCCSF, seule organisation présente simultanément dans les deux secteurs s'est montrée très favorable à cette orientation nouvelle.
3) La maîtrise médicalisée de l'offre de soins de ville
Faute d'avoir dans le passé tenté, sans succès, de réduire la demande de soins par la réduction des taux de remboursement sur les médicaments et en majorant les tickets modérateurs, le législateur avait cherché à freiner la croissance des dépenses en associant le corps médical à cette démarche décrite sous le nom de maîtrise médicalisée, simple camouflage sémantique pour masquer celui de maîtrise comptable généralement contesté .
Pour l'UCCSF, qu'elle soit médicalisée ou comptable, cette présentation restait une maîtrise et le gouvernement JUPPE était bien obligé d'y recourir en généralisant la formation médicale continue, les références médicales opposables, en réformant la nomenclature des actes et leur codage, en encourageant l'informatisation des cabinets médicaux, en cherchant à freiner le nomadisme médical, en développant les médicaments génériques et en instituant le carnet de santé. Annoncé à grand fracas par une conférence de presse mémorable, le carnet de santé demeura un gadget coûteux et inutile, tout simplement parce que le gouvernement comptant naïvement sur le civisme des assurés ne rendit pas obligatoire sa production pour obtenir le remboursement des soins …!
Le plan JUPPE n'avait rien innové sur « la maîtrise »
Presque toutes les mesures visant le corps médical libéral étaient en effet déjà contenues dans la Convention médicale d' Octobre 1993 que la CSMF et le SML se félicitaient bruyamment, 3 ans plus tôt, d'avoir signée avec les Caisses sous le gouvernement précédent …
En voici quelques preuves :
  • le codage des actes figurait déjà à l'art.5, § 3, p.15
  • les références médicales opposables (R.M.O.) étaient déjà inscrites à l'art.13,§ 3, p.25-26
  • les sanctions financières pour non observation des RMO étaient prévues à l'art.14, § 5, p. 26-27
  • le taux d'évolution des dépenses médicales (honoraires, frais accessoires et prescriptions) était fixé chaque année (art. 16, page 28)
  • le calcul des retenues et des sanctions financières était développé à l'art.20, § 2, p. 32 : elles ne furent jamais appliquées.
  • le dossier médical était annoncé à l'art. 21, p.33-35
  • la Formation Médicale Continue pouvait être financée par prélèvement sur la masse des honoraires médicaux. (art.26, p.39)
L'aveu
L'un des signataires de la Convention de 1993 reconnut lui-même et confirma ce qui précède :
1°) " Si on enlève du plan JUPPE les éléments de maîtrise de dépenses qui étaient déjà présents dans la Convention de 1993, il ne reste de nouveau que l'opposabilité financière du taux d'évolution des dépenses." Il s'agissait donc bien déjà d'une maitrise comptable.  
Dr. Claude MAFFIOLI, Quotidien du Médecin, n° 5922 – 4 Oct. 1996
 
2°) " Les médecins … savent qu'ils doivent intégrer cette véritable révolution culturelle qu'est la Convention de 1993. Nous sommes d'accord avec tout ce qu'elle implique : le principe des références opposables, le carnet de santé, le codage des soins .... Nous refusons en revanche de devoir assumer une gestion comptable pour coller aux "fameux critères de convergence de MAASTRICHT ...."
Dr. Claude MAFFIOLI, l'UNION, 17 Octobre 1996
 
Alors, pourquoi cet acharnement contre le plan JUPPE ?
Ce n'était pas tant - on vient de le voir - au plan JUPPE lui-même que s'en prenaient la CSMF et le SML, et, avec les dirigeants de ces deux syndicats,  presque tout le corps médical, mais à la Convention séparée de spécialistes que l'UCCSF venait de signer le 12 mars 1997 et elle seule.
Il faut bien se souvenir que la CSMF a toujours milité en faveur d'une Convention Médicale UNIQUE englobant, en dépit de leur diversité croissante, toutes les formes d'activité médicale dans une structure monolithique uniforme sur laquelle elle pouvait exercer son autorité, on pourrait même dire son hégémonie.
Rien ne pouvait plus irriter ses dirigeants que toute menace de fragmentation syndicale susceptible d'affaiblir le pouvoir que la CSMF a exercé sans partage sur la totalité d'un corps médical de plus en plus disparate soumis à des contraintes et des modalités d'exercice de plus en plus diversifiées .
Par sa signature, l'UCCSF reconnue représentative le 5 février 1997, brisait le moule conventionnel unique et inextensible des conventions précédentes en lui substituant deux conventions distinctes, juridiquement prévues Depuis la loi n° 90-86 du 23 janvier 1990 permettant à deux syndicats représentatifs, l'un de généralistes, l'autre de spécialistes de conclure des conventions séparées avec l'Assurance-maladie. , l'une de spécialistes, l'autre de généralistes espérée par MG France depuis la reconnaissance de sa représentativité par Claude EVIN en 1989 Gouvernement Michel ROCARD , mais disposition demeurée inapplicable tant qu'un syndicat de spécialistes ne serait pas reconnu représentatif. 7 ans plus tard, cet objectif était enfin atteint.
La réaction
La réaction de la CSMF fut immédiate, violente et à la hauteur de sa déconvenue : elle déclencha avec d'importants moyens une série d'actions destinées à déconsidérer l'organisation signataire, contestant sa représentativité et visant à obtenir coûte que coûte l'annulation de la Convention de spécialistes qui rétrécissait son pouvoir. Elle rassembla une soixantaine de syndicats médicaux pour obtenir le dépôt de nombreux recours en Conseil d'Etat. Un seul d'entre eux, l'UCF, ex-dissident de l'UCCSF, retira le sien… comprenant que cette Convention de spécialistes prévoyait, outre l'esquisse d'une convention de plateau technique lourd proposée de longue date, une nouvelle lettre-clé, le KCC, réclamée avec insistance par tous les spécialistes chirurgicaux et dont la valeur avait même été…. provisionnée.
L'arbitrage de la rue
Après avoir alerté toutes les catégories composant le corps médical en commençant par les plus facilement mobilisables, les étudiants et les futurs spécialistes, pourtant non concernés Un moratoire dépassant largement la durée de la Convention de 1997 (4 ans) avait même été négocié pour 7 ans (soit 3 ans au delà de la validité de la convention ) et obtenu pour les chefs de clinique par l'UCCSF, le temps d'achever leur spécialisation en cours et la montée en charge progressive d'une installation en cabinet libéral…! C'est pourtant cette catégorie qui s'est montrée la plus véhémente au point de préparer une action violente contre le siège de l'UCCSF qui fut prévenue à temps et placée sous protection policière pendant 15 jours et 16 nuits….MG France, qui avait pu signer la Convention de généralistes avait déjà subi des dégradations sur la façade de son siège.   mais toujours prompts à défiler dans les rues en formant de joyeux et bruyants monômes de blouses blanches, les dirigeants CSMF et SML utilisèrent les médias avec une redoutable efficacité en direction de l'opinion publique de plus en plus sensible à tout ce qui touche la santé.
Or, les fameux reversements d'honoraires en cas de dépassements des objectifs de dépense n'eurent jamais lieu puisque ces objectifs, bien que ressentis comme une sanction collective, ne furent jamais atteints, ni en 1996 ni en 1997, ni même encore aujourd'hui !
Secondairement, la réforme du financement de l'assurance-maladie devint, avec la reprise d'une dette de 150 milliards de frs, entraînant la création de la CADES et de la CRDS et un transfert partiel des cotisations habituelles sur la CSG, le prolongement durable d'un mouvement de dépit d'un syndicat médical majoritaire.
Celui du Conseil d'Etat
Le complément d'enquête en représentativité diligenté par la Haute Juridiction ne pouvait pas rester totalement à l'abri des perturbations induites dans l'opinion publique par l'immense vague de réprobation ainsi déclenchée de proche en proche et qui aboutit sur le plan politique, à la fameuse dissolution de l'Assemblée Nationale suivie d'un changement de majorité et de gouvernement.
Le but recherché fut atteint le 26 Juin 1998, mais seule notre Convention de spécialistes prévue pour 4 ans fut annulée.
Elle n'avait duré que 15 mois et fut bientôt remplacée par un Règlement Conventionnel Minimal tandis que la Convention de généralistes fut maintenue et même améliorée par étapes avec la création notamment du médecin référent, autre sujet de discorde avec MG France cette fois.
Toutes les tentatives de négociations d'une convention de spécialistes ayant échoué pour des motifs divers, cette situation devint vite insupportable pour les seuls spécialistes puisqu'elle s'accompagnait déjà du maintien d'un blocage des honoraires depuis 1990
Le plan JUPPE (suite)
Même s'il a pris beaucoup de retard, et même s'il a été perturbé par l'institution de la loi sur la réduction du temps de travail, le Plan JUPPE a été poursuivi par tous les gouvernements sans exception qui se sont succédés depuis lors Lionel Jospin (Martine Aubry, Elizabeth Guigou, Bernard Kouchner),Jean Pierre Raffarin (Jean François Mattei, Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand)   tout simplement parce que les réformes entreprises courageusement par Alain JUPPE, dans le contexte 1997 de protection sociale, étaient indispensables de l'aveu même des syndicats de salariés et de la CFDT, en particulier
Les professions de santé, les milieux politiques et l'opinion publique se sont montrés bien injustes à son égard.
7 ans plus tard
Il faudra attendre encore 7 ans la mise au point laborieuse de la nouvelle Convention du 12 janvier 2005, homologuée un mois plus tard par sa publication au J.O. le 11 février 2005 pour tenter de rétablir la continuité d'un système dans un contexte économique, social et médical aggravé.
Bien qu'elle soit en apparence unique pour satisfaire le principal signataire, cette Convention comprend, sous un accord-cadre général, plusieurs volets catégoriels épousant les différentes modalités professionnelles d'exercice médical, tenant compte de leurs nombreuses caractéristiques et enfin, des contrats de santé publique.
Il est prématuré de porter un jugement sur l'avenir de cette nouvelle construction conventionnelle qui devrait parachever la Réforme JUPPE de 1996, alourdie d'un nouveau mode de tarification qui, "par pathologie" abandonnée après deux ans d'études, a été remplacée par la tarification "dite à l'activité" ou T2A, selon sa nouvelle appellation.
La Nomenclature Générale des Actes professionnels de 1972 souvent déjà remaniée et portant sur 1.500 actes environ devait être remplacée par une Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) comprenant 7.200 libellés hiérarchisés. Ce travail gigantesque inauguré par le PMSI en 1990 serait sur le point d'aboutir lorsque le "transcodage" sera achevé et les inévitables erreurs dépistées et corrigées.
En Conclusion
L'innovation majeure apportée par les Ordonnances JUPPE semble être la création des Agences Régionales de l'Hospitalisation qui permet d'apprécier sur place et d'utiliser d'une façon rationnelle les possibilités locales et d'apporter les correctifs nécessaires.
Toutefois on peut juger une situation quantitativement, mais non qualitativement.
Les nombreuses garanties sociales introduites au fil des années dans les statuts semblent répondre aux souhaits des plus exigeants de leurs bénéficiaires. Le retour au temps partiel, au besoin dans sa variante italienne, est peut-être un des moyens de dissiper les miasmes d'une insatisfaction contagieuse dans une société hyperprotégée.
N'étions nous pas plus heureux lorsque, sans compter notre temps ou craindre la fatigue, nous enchaînions avec entrain nos rudes journées de travail et nos nuits de garde, sans limite et gratuitement ?