Dès l'origine du système conventionnel définissant les tarifs d'honoraires rémunérant un acte médical, la notion imprécise de la "NOTORIETE" d'un praticien fut, et est toujours, une source de difficultés entre les organismes sociaux et le corps médical.
Comment pouvait-on définir une échelle théorique de remboursements à 80% du montant d'un acte selon qu'il était effectué par tel généraliste ou tel spécialiste selon son ancienneté, son expérience, ses titres hospitaliers ou universitaires, son mode d'exercice, l'idée qu'il estime de la valeur "marchande" de son acte par rapport au "pouvoir d'achat" de son "client" ?
L'extrême diversité des situations, les habitudes culturelles d'une profession encore considérée comme libérale, s'accommodaient mal d'un système d'assurance contraignant, sachant qu'il est impossible de tarifer l'acte intellectuel d'une consultation médicale par exemple.
Or, c'est précisément autour de la consultation du généraliste que s'est peu à peu élaboré tout le système conventionnel construit sur le principe de la rémunération à l'acte sans envisager l'évolution ultérieure des innombrables pratiques médicales qui ont nécessité, entre autres, l'établissement périodique de nomenclatures d'actes et de leur valeur marchande tirée de leur contenu technique.
De nombreuses plaintes d'assurés mécontents de ne pas être remboursés en totalité des montants payés à leurs praticiens pour des consultationsn° 60-451 du 12 mai 1960 dépassant les tarifs en vigueur du fait, dans le meilleur des cas, d'une notoriété présumée, les autorités politiques et syndicales de l'Assurance-maladie imaginèrent, dans le cadre du célèbre décret (J.O. 13 mai 1960) Le décret du 12 mai 1960 fut modifié par les décrets n° 61-386 du 30-juin 1961 (J.O. 1er juillet 1961), n° 62-151 du 6 février 1962, (J.O. 10 février 1962), n° 66-21 du 7 janvier 1966, (J.O. 8 janvier 1966)   (rectifié au J.O. du lendemain 14 mai 1960).
Le Droit (au) Dépassement Permanent (D.P.)
Outre l'instauration des Df (dépassement pour situation de fortune de l'assuré) et du De (dépassement pour exigences particulières du malade), le DP était réservé aux praticiens inscrits sur la liste de ceux bénéficiant du droit permanent délivré, sur dossier, par la Commission paritaire départementale ainsi composée (décret du 4 juillet 1960 (J.O. 5 juillet 1960) :
  • trois représentants des Organismes de Sécurité Sociale (Caisse Régionale, Caisse primaire et Mutualité Sociale Agricole)
  • trois représentants des organisations professionnelles (praticiens et auxiliaires médicaux)
  • pour les affaires d'intérêt commun, deux médecins (un membre du Conseil départemental de l'Ordre et un représentant d'un syndicat le plus représentatif)
Seuls, pouvaient être inscrits sur la liste des bénéficiaires du D.P.
les possesseurs de titres universitaires ou hospitaliers (en pratique, tous ceux qui ont acquis, par concours, un poste hospitalier public, du chef de service aux assistants et aux anciens internes des hôpitaux publics, communaux et intercommunaux de Seine et de Seine et Oise issus des concours 1943, 1944, et de 1946 à 1956 Issu du concours 1946, j'ai été inscrit parmi les bénéficiaires du DP, sans en avoir fait la demande. Comme je le précise dans mon parcours professionnel, je n'ai jamais utilisé cette possibilité de dépassement par principe dont je révèle les motivations.
  • ceux qui pouvaient exciper d'une autorité scientifique appuyée sur des travaux personnels
  • ceux jouissant d'une autorité médicale accrue pour avoir suivi des cycles de perfectionnement professionnel, officiellement reconnus.
  • ceux qui ont une durée minimum d'exercice ou qui sont appelés habituellement en qualité de consultant par un autre confrère.
Le Conseil d'Etat
L'émotion soulevée par le décret du 12 mai 1960 et les textes subséquents ont entraîné des recours en annulation contre ce texte fondateur.. Par les arrêts n° 51.265 et 51.266, rendus le 13 juillet 1962, le Conseil d'Etat statuant au Contentieux a confirmé la légalité de la plupart des dispositions nouvelles introduites par les nouveaux textes et notamment ceux établissant la liste des praticiens dont la notoriété reconnue par l'inscription sur la liste départementale les autorisait à dépasser les tarifs d'honoraires applicables.
Par la circulaire n° 34 SS du 6 avril 1966, tous les praticiens inscrits sur les listes de « notoriété » précédemment établies par les commissions paritaires jouissaient désormais du « droit au dépassement » sans limitation de durée.
Ainsi, pour intégrer dès 1960 dans le système conventionnel la notion traditionnelle de la notoriété, une Commission paritaire a établi les règles d'attribution d'un droit au Dépassement d'honoraires selon des grilles de compétences et d'utilisation de plus en plus précises portant principalement sur les titres hospitaliers publics acquis aux concours.
Rappelons qu'en 1980, lors de la création du secteur 2, Mr Jean FARGE, Secrétaire d'Etat à la Sécurité Sociale soutenu par Jacques BARROT ( Gouvernement Raymond BARRE) avait décidé la suppression immédiate du D.P. J'ai eu beaucoup de mal à obtenir son maintien dans un cadre d'extinction, formule habituelle dans la tradition administrative française, et expliquant l'existence de quelques rares praticiens encore en activité en 2005 et disposant simultanément du DP et des avantages du secteur 1…
Le Secteur 2
Partant du principe de l'indépendance du médecin libéral et de son sens des responsabilités qui a toujours inspiré la Fédération des Médecins de France présidée alors par son fondateur le Dr Pierre BELOT les négociations qui ont précédé l'élaboration de la future Convention de 1980 ont conduit à concevoir un nouveau principe conventionnel :
  • l'un, le secteur 1, respectueux des tarifs de responsabilité des Caisses, mais assorti d'avantages sociaux (participation des Caisses aux 2/3 des cotisations de retraite (Avantage social Vieillesse (A.S.V.), en compensation de la limitation volontaire des honoraires médicaux), le 1/3 restant à la charge des praticiens vertueux.
  • l'autre, le secteur 2 offrant aux praticiens souhaitant conserver "un espace de liberté" (avec tact et mesure selon les recommandations ordinales) des montants d' honoraires, mais naturellement sans la participation des Caisses à la retraite désormais à la charge entière des praticiens, desserrant ainsi la tutelle exercée par les Caisses. En raison d'une situation économique de plus en plus sévère et complexe induite par une consommation exponentielle de soins médicaux, les Caisses se trouvèrent dans l'obligation de peser sur les tarifs d'honoraires qui n'ont pas suivi l'évolution de l'indice des prix.
Un petit nombre de médecins choisirent, quand il en était encore temps, la relative liberté offerte par le secteur 2, appelé pudiquement "secteur à honoraires différents", autorisant les dépassements non remboursables (sauf par les mutuelles, à inscription facultative).
Le pari était risqué. D'un côté, cette initiative portait la marque de la FMF et par conséquent, elle fut dénoncée avec vigueur par l'adversaire de toujours, la CSMF et son Président Jacques MONIER, soutenu discrètement par le Président DERLIN qui craignait qu'un afflux massif de médecins conventionnés ne choisisse le secteur 2 et ruine le principe conventionnel du remboursement à 80%.
C'est Pierre BELOT qui rassura Maurice DERLIN en lui prédisant que le nombre des transfuges vers le secteur 2 paré de l'espoir d'une certaine liberté retrouvée, ne séduirait qu'un petit nombre d'audacieux (pas plus de 5 à 7.000, avait estimé Pierre BELOT) parce que, disait-il, « les plus déterminés en apparence resteront longtemps frileux, prudents et attentistes ».
De fait, l'estimation se révéla exacte et j'en porte ici témoignage.
Pendant cette période, la CSMF poursuivant ses imprécations contre le principe même du secteur 2, parce qu'il avait été proposé par la FMF seule, son éternelle rivale, Jacques MONIER fut destitué au profit de Jacques BEAUPERE qui, contrairement à son prédécesseur, se montra favorable à la perspective d'un secteur 2, annonciateur d'une libéralisation encore timide d'un système plus ouvert.
Jacques BEAUPERE incita alors bruyamment et sans précaution ses propres adhérents à entrer massivement dans le secteur 2, afflux que Maurice DERLIN redoutait justement.
Encouragés par le nouveau Président de la CSMF, le nombre des inscrits en secteur 2 augmenta soudain atteignant plus de 25.000, menaçant ainsi l'équilibre entre les deux secteurs. C'est alors que les Caisses prirent le parti de limiter l'entrée à une première installation alors que le secteur 2 était naguère ouvert dans les deux sens, sans restriction.
Par suite d'un blocage prolongé du montant des tarifs d'honoraires par les Caisses, le poids des dépassements s'est considérablement aggravé passant des consultations aux actes lourds, uniques et surtout répétitifs, effectués aussi bien en clinique qu'à l'hôpital dans le secteur privé des hospitaliers et hospitalo-universitaires exerçant à temps-plein, qui a donné lieu à certaines critiques parfois justifiées.
Les malades ou leurs familles se plaignent de plus en plus souvent d'être surpris par les montants des suppléments d'honoraires réclamés par leurs praticiens en secteur 2, surtout lorsqu'ils n'ont pas été annoncés ni chiffrés avant la prestation de l'acte.
Le choix individuel du secteur 2 même limité à la première entrée dans la carrière conventionnée n'est qu'une sorte d'auto-promotion professionnelle ne reposant que sur des critères personnels, à l'opposé des anciennes modalités sélectives et irrécusables vérifiées par la Commission paritaire départementale dont la composition est rappelée ci-dessus, avec la garantie de la présence de l'Ordre dans la Commission.
C'est pourquoi les tutelles envisagent alors une nouvelle réglementation du secteur 2 et peut-être un retour à l'ancien DP. avec la création d'un secteur optionnel (Accord du 24 Août 2004 en principe réservé aux chirurgiens restés prisonniers en secteur 1).
L'avenir
Il ne parait pas possible d'imaginer aujourd'hui la forme que prendra le système en vigueur de protection sociale évoluant inexorablement vers un régime de redistribution des revenus et de transferts sociaux et qui est pour l'instant, fondé sur le principe uniforme, monolithique, de la solidarité appliqué à une clientèle captive.
Elle devrait selon une large majorité d'assujettis, revenir aux principes mutualistes de ses lointaines origines et à un système moderne d'assurances cohérent, homogène, ayant un lien constant entre les recettes ou les dépenses du régime considéré et surtout librement choisi.
Si on gardait le principe d'un accord individuel et contractuel ou collectif et conventionnel, il devrait comporter dans tous les cas, des droits et des devoirs réciproques préalablement négociés sur des clauses précises, notamment tarifaires périodiquement révisables.
Pour échapper aux difficultés rencontrées depuis l'origine dans l'appréciation de la notion de notoriété, il serait plus simple, plus logique et aussi plus moral d'expérimenter la formule proposée par Arnaud BRUNET Je rappelle que le Dr Arnaud BRUNET fut le fondateur en avril 1934 de la première clinique privée libérale conventionnée française.   dès 1957 et reprise par plusieurs auteurs.
Le "double secteur"
- l'un conventionné « pur et dur », respectant intégralement et sans exception toutes les clauses conventionnelles ou contractuelles, tarifaires officielles régulièrement actualisées mais sans aucun dépassement d'honoraires, quitte à les dénoncer si elles ne sont plus adaptées et à les renégocier.
- l'autre à honoraires véritablement libres, mais dont l'acte de base de la prestation ne sera remboursé que sur le tarif d'autorité  Le tarif d'autorité est resté scandaleusement bas depuis 1960. Il devrait être régulièrement revalorisé.   si l'assuré dûment prévenu est à jour de ses cotisations obligatoires.
Cette formule aurait l'avantage de la transparence et de la loyauté vis-à-vis des assurés qui auront intérêt à être inscrit à la mutuelle de leur choix.
Même si cette proposition peut sembler utopique ou incongrue, on ne peut pas jouer éternellement sur les deux versants d'un système sur le déclin.
Vers une formule nouvelle ?
Un certain nombre de spécialistes parmi les nouvelles générations s'interrogent sur le maintien ou l'abandon du mode de rémunération à l'acte, symbole du dogme de la médecine libérale, tandis que les formes d'exercice en équipe autour d'un plateau technique lourd se généralisent. Dans cette nouvelle perspective, non seulement le principe de l'unicité de la Convention toujours prôné par la CSMF est manifestement dépassé, mais encore la multiplicité des modes d'exercice implique un mode de rémunération forfaitaire à partir d'un coût global (honoraires, coût de la pratique et frais d'hébergement) calculé et opposable à l'assurance maladie par pathologie ou par la T2A; actuellement en cours d'expérimentation.
La seule difficulté se limite alors dans l'adoption d'une clé de répartition des honoraires entre tous cenx qui ont participé à la réalisation de l'acte forfaitisé.