On sait que la place de la chirurgie sur l'échiquier professionnel et par conséquent syndical n'a jamais été clairement définie. Cette situation floue est, à mon avis, à l'origine de la crise qu'elle traverse.
Englobée dans un système administratif et conventionnel dominé par des organisations polycatégorielles bénéficiant du label d'une représentativité collective et pourrait-on dire universelle, la chirurgie s'est trouvée depuis la création de la protection sociale en 1945, traitée au même titre que toutes les autres formes d'activités médicales dans une Convention unique. La chirurgie était, depuis l'origine du syndicalisme médical, demeurée la "chasse gardée" de la CSMF et à partir de 1970, également de la FMF jusqu'à ce que le Collège National des Chirurgiens Français s'affranchisse en 1987 de cette tutelle. Ce système a été suspendu pour une courte période de 15 mois avec la signature par l'UCCSF de la première Convention de spécialistes séparée de la première Convention des généralistes, réclamée également depuis plusieurs années par MG France, mais impossible à réaliser tant qu'il ne se trouverait pas un syndicat représentatif de spécialistes susceptible d'équilibrer le système que la loi de 1990 permettait pourtant depuis 7 ans.
Cette première séparation entre généralistes et spécialistes constituait alors une approche logique entre des métiers différents, mais encore insuffisante puisque les spécialistes médicaux et chirurgicaux se trouvaient encore et toujours indistinctement réunis dans une même Nomenclature d'actes.
La bonne question : Qu'est-ce qu'un acte chirurgical ?
La bonne définition : C'est un acte spécifique
  • non délégable
  • lourd
  • invasif
  • thérapeutique
  • unique, donc non répétitif
  • accompli en équipe
  • utilisant un plateau technique approprié
  • effectué en totalité sous la responsabilité d'un spécialiste titulaire d'une qualification officielle
 
La Nomenclature Générale des Actes Professionnels (NGAP) de 1972 ayant maintes fois démontré son caractère vétuste et inadapté à l'évolution rapide des techniques, il était devenu indispensable et urgent de la remplacer par une formule nouvelle prenant en compte un certain nombre de paramètres (difficulté, pénibilité, stress, temps passé, etc…) permettant d'établir en principe une échelle comparative de valeurs, appelée par la suite « hiérarchisation des actes ».
Mise en chantier en 1996, la classification commune des actes médicaux (CCAM-technique) ne sera véritablement opérationnelle, avec ses 7.100 actes, que 8 ans plus, au 1er janvier 2005 !! Malheureusement, elle mélange toujours et compare entre eux des actes totalement différents, médicaux et chirurgicaux, les uns de diagnostic et d'exploration fonctionnelle, par essence multiples et répétitifs, délégables à des tiers, les autres invasifs, uniques et non répétitifs, non délégables, effectués par le chirurgien lui-même, sur un patient unique, mais avec le concours d'autres spécialistes indispensables.
La chirurgie est caractérisée par la formation la plus longue et la plus sélective, la carrière la plus courte, les responsabilités les plus lourdes, une spécificité d'exercice, quels que soient sa typologie, à l'hôpital ou en clinique, son statut salarié ou libéral, ses contraintes professionnelles multiples.
C'est précisément parce que les chirurgiens démographiquement peu nombreux avaient confié la défense de leurs intérêts à d'autres, souvent généralistes, plus disponibles certes mais moins compétents ou moins concernés, que d'année en année la situation morale et matérielle des disciplines chirurgicales n'a cessé de se dégrader au point de détourner les jeunes de s'engager dans cette voie, provoquant ainsi une crise de recrutement n'assurant même plus la relève des générations.
C'est pourquoi dans un sursaut ultime, retirant leur confiance aux syndicats poly-catégoriels représentatifs dont les dirigeants sont habituellement des généralistes, les chirurgiens ont créé des coordinations qui ont pris en mains, leur propre défense catégorielle, assurant ainsi une autonomie syndicale centrée sur la spécialité elle-même.
Les questions techniques l'emportant sur toutes les autres, cette évolution devenait inévitable. Au lieu des Conventions globales conduisant à des arbitrages internes rarement équitables, il est probable qu'on s'acheminera vers des accords contractuels épousant les caractéristiques réelles de chaque discipline, voire de chaque opérateur.
Autrement dit, en s'inspirant directement des modalités issues de la pratique quotidienne et de l'expérience du terrain, les clauses de tout accord catégoriel conçues de cette manière pragmatique, auront plus de chance d'être appliquées et respectées qu'elles correspondront à la réalité d'une pratique évolutive par définition.
Ce n'est pas le fruit du hasard si nos Anciens avaient déjà conçu deux Académies séparées, l'une de Médecine au sens large, avec la biologie, la botanique, l'art vétérinaire, la pharmacie, etc.. et une autre de Chirurgie déclinée déjà entre de nombreuses disciplines exercées en équipe sous contrainte de plateau technique lourd, avec la participation quasi-constante d'une seule spécialité médicale, l'anesthésie-réanimation « prestataire de service », étroitement liée à toutes les autres spécialités chirurgicales.
Les pouvoirs publics eux-mêmes, prenant enfin conscience de la réalité de la crise de la chirurgie, se sont décidés à créer un Conseil National de la Chirurgie Française qui fut installé le 17 Juin 2004 avec une certaine solennité par le ministre le Pr Philippe DOUSTE-BLAZY. Son discours reprenait tous les points évoqués inlassablement par le Collège National des Chirurgiens Français depuis sa création en 1970La création d'une « Commission de la Chirurgie » ne fut retenue qu'à l'issue du Grenelle hospitalier (9 déc 1983 – 4 jan 1984) et rappelée lors de l'AG du Collège du 24 sept. 1984. Elle ne verra le jour que 20 ans plus tard ! et régulièrement développés dans la collection des Cahiers de Chirurgie.
Le concept de l'autonomie de cette spécialité pour apporter des solutions appropriées à son évolution et à son essor y furent souvent évoqués sous des formes diverses. On peut seulement regretter les années perdues.
La future C.C.A.M.
Mise en chantier en 1996, la refonte de la vieille NGAP datant de 1972, arrive enfin presque à son terme après une laborieuse gestation de plus de 8 années sous le nom de Classification Commune des Actes médicaux (C.C.A.M.). Périodiquement annoncée, sa promulgation vient encore d'être repoussée au début de 2005.
Avec ses 7.100 libellés et une double hiérarchisation intra et inter spécialités exprimées en "points-travail" ou "unité de compte universelle", cette laborieuse construction intellectuelle analyse le contenu des soins dispensés par chaque praticien en durée, technicité, stress, effort mental, avec pour finalité de déterminer les allocations de ressources en quantifiant de budget global de l'acte pour chaque opérateur à travers une clé de "conversion monétaire du point -travail".
Officiellement, la CCAM a été conçue pour rehausser d'environ 8 à 10% la valeur moyenne des actes chirurgicaux qui, on le sait, sont restés scandaleusement bloqués depuis près de 15 ans !
En réalité, elle ne me parait pas susceptible de mettre fin à la crise profonde de la chirurgie pour deux raisons simples provenant d'une grave erreur conceptuelle depuis son élaboration :
1°) Cette CCAM mélange indistinctement à la fois
  • des actes médicaux de diagnostic et d'exploration fonctionnelle qui sont généralement, comme on l'a vu plus haut, non invasifs, multiples, répétitifs, et éventuellement délégables à différents auxiliaires (manipulatrices radio, infirmières spécialisées, p.ex.)

  • des actes chirurgicaux qui sont invasifs, uniques, non répétitifs et non délégables à quiconque car réalisés de bout en bout par un seul opérateur, sur un seul patient qu'il a préalablement examiné lui-même. La gestuelle du chirurgien malgré sa complexité réduite à un acte dit "technique," n'est à l'évidence pas transférable à un autre membre de l'équipe médicale ou para-médicale, comme en radiologie par exemple dont le temps de travail a été "scoré" comme si les radiologues effectuaient eux-mêmes leurs clichés et non leurs manipulatrices, délégatrices de fait et pourtant déjà payées par le « coût de la pratique »...

  • des actes mixtes comme ceux de l'anesthésiste qui peut effectuer simultanément des actes uniques ou répétitifs sur un ou plusieurs patients avec l'aide d'un ou plusieurs collaboratrices et pourtant déjà payées elles aussi par le coût de la pratique.

2°) Dans une optique d'uniformité égalitaire et surtout en négligeant les particularités quotidiennes du terrain, la CCAM est devenue au fil des années de sa lente élaboration un système technocratique complexe chargé d'évaluer d'une façon pseudo-scientifique le coût des actes produits par 13 spécialités officielles réparties en 18 catégories et leur juste rémunération.
En neutralisant "l'effet-temps", on peut évaluer les niveaux respectifs des autres facteurs qui décrivent précisément les qualités nécessaires à la réalisation de l'acte par les praticiens. Plus le nombre de "points - travail par minute" est bas, moins la qualité du travail du praticien est reconnue !
Quelques exemples illustrent l'absurdité d'un tel système qu'il est urgent de dénoncer en dépit des savantes présentations de ses promoteurs qui font toujours illusion auprès de certains responsables syndicaux un peu trop confiants …
La notion de temps d'exécution d'un acte est incompatible avec les principes de son mode de rémunération. En effet, l'acte médical, répétitif peut être rémunéré individuellement et la notion du temps d'exécution peut être un des critères de sa hiérarchisation et à travers elle, de sa rémunération.
Par contre, cette notion de temps pour l'acte chirurgical qui est en principe, unique et non répétitif, effectué en équipe, relève à l'évidence d'une rémunération forfaitaire globale étalée sur la période pré-opératoire de diagnostic et de préparation, la période opératoire proprement dite de thérapeutique et la période post-opératoire subséquente de surveillance plus ou moins longue. Ainsi, il importe peu que l'acte unique ait été effectué par un chirurgien lent ou rapide puisqu'il est inclus dans un forfait.
La ventilation de la rémunération forfaitaire globale entre tous les membres de l'équipe ayant participé à l'ensemble des gestes ayant permis de réaliser l'acte chirurgical unique repose sur une clé de répartition arrêtée après accord conclu préalablement entre tous les acteurs selon le principe du Centre cardio-thoracique de MONACO en vigueur depuis 1987 à la satisfaction générale.
Conclusion
La CCAM a certes été élaborée sans précipitation, et même avec une extrême lenteur révélatrice d'une louable prudence, dans un souci apparent d'impartialité, de justice et d'équilibre entre toutes les formes d'exercice médical. Il est regrettable que sa méthodologie repose sur une dérive conceptuelle erronée consistant à amalgamer l'acte unique et non répétitif justiciable d'une rémunération forfaitaire, avec l'acte multiple et répétitif pour sauvegarder le principe dépassé de la rémunération à l'acte dont le maintien ne se justifie plus dès lors qu'il est le fruit du travail non d'un individu mais de toute une équipe.
Avec les meilleures intentions du monde, on peut commettre les plus grossières erreurs en s'éloignant des réalités de la pratique quotidienne.
On peut d'ores et déjà prévoir l'échec, au moins partiel, de cet énorme travail long et coûteux mais faussé dès le départ.