A partir du moment où on a mis une seule fois, le doigt dans ce redoutable engrenage à la fois médical et syndical, on est exposé à récidiver en toutes occasions au service d'autrui. Tel sera mon sort, une vie syndicale durant, dans différentes fonctions. Si j'ai connu plus souvent l'ingratitude que les remerciements, j'ai en revanche beaucoup appris et éprouvé quelques fois la satisfaction profonde d'avoir rendu service et d'en avoir recueilli les marques d'une amitié fidèle et d'une réelle reconnaissance. Mais aussi hélas une sordide ingratitude et même quelques cas d'hostilité militante !
Ayant été appelé, du fait de la mobilisation générale en 1939, à remplir très rapidement des fonctions d'externe dans des services de chirurgie jusqu'à ma nomination à l'externat des hôpitaux de Paris en 1942, j'avais déjà une petite expérience de la chirurgie courante, et même de la chirurgie de guerre : à la recherche de mon unité, j'ai soigné et même opéré une nuit de Juin 1940 à l'Hôtel Dieu d'Orléans des victimes des bombardements de la ville venus avec les colonnes de réfugiés pendant l'exode.
Après un externat presque totalement médical, les deux premières années d'internat de chirurgie étaient consacrées à apprendre les éléments de base de la spécialité dans des service polyvalents de "chirurgie générale" où se cotoyaient l'hématémèse par ulcère d'estomac, la luxation de l'épaule, la rétention aigüe d'urines, la brulure d'un enfant ébouillanté, le cancer du pancréas au stade terminal. Autrement dit, toutes les spécialités aujourd'hui individualisées étaient rassemblées dans une salle de 40 lits en moyenne : seuls les sexes étaient séparés, les hommes dans une salle, les femmes dans l'autre, soit 80 lits et souvent plus, placés sous la responsabilité d'un personnel médical habituellement limité à un chef de service, à un seul assistant, exceptionnellement deux, et en général à deux internes seulement, l'un pour les hommes, l'autre pour la salle de femmes.
Certains "petits" services n'avaient qu'un seul interne, de garde à longueur de nycthémère et d'année, même en maternité, situation inimaginable de nos jours, et pourtant ces postes assortis de très lourdes contraintes étaient régulièrement pris lors du choix des places, parce que les postulants savaient qu'ils étaient hautement formateurs.
Seuls, les grands services d'enseignement dits "de clinique", c'est à dire liés à la Faculté par une convention, pouvaient compter 3 ou 4 internes, et quelquefois, un 5ème interne en surnombre, poste attribué parfois à un chirurgien étranger (LAHAM, du Liban ou Alexandre PLACA, de Roumanie) venu se perfectionner en France. Contrairement à ce que laissent entendre certains, le rayonnement de la médecine française dans le monde était universellement reconnu bien avant la Réforme DEBRE de 1960. Il est faux de prétendre que tout n'a vraiment commencé qu'avec elle. Des noms illustres comme ceux d'Antonin et de Jean GOSSET, Henri MONDOR, René FONTAINE, René LERICHE, les frères Jean et Robert JUDET, Clovis VINCENT, Paul SANTY, Georges GUILLEMIN, Camille LIAN, Jean LENEGRE, Jean-Louis LORTAT-JACOB, Roger COUVELAIRE, Jean BERNARD et tant d'autres sont encore dans toutes les mémoires de leurs élèves dans le monde entier.
On notera au passage que la période la plus féconde de leur carrière s'est déroulée exclusivement... à temps-partiel !
Après avoir fait plusieurs remplacements d'externe successivement en neuro-chirurgie, chez le Pr Clovis VINCENT (Sept.1940 La Pitié) puis en Ophtalmologie chez le Pr VELTER (janv.1941 - Hotel-Dieu), en chirurgie chez G. METIVET (Hôpital TENON) au pavillon DOLBEAU où je connus J.P. WISNER, je préparais activement le concours de l'Externat des Hôpitaux de PARIS et j'eus la chance d'être reçu à mon premier concours en 1941 dans un bon rang, 47ème sur 550, qui me permettait de choisir l'un des meilleurs services de médecine, celui du Professeur Guy LAROCHE à l'Hôpital TENON où je passai une année très fructueuse avec Michel BAILLEUL (futur Gynécologue-Obstétricien chef de service de l'hôpital d'ALENCON), Jacques GOUGEON (futur professeur de clinique rhumatologique de la Faculté de REIMS) et Roger CHEVILLOTTE (futur chirurgien chef de service de l'hôpital St Joseph de PARIS). Nous avions comme interne BARRé, originaire de STRASBOURG, fils (si j'ose dire) du fameux syndrome de GUILLAIN-BARRé. L'année suivante, chez le Pr Jean LENEGRE, j'appris les rudiments de la cardiologie moderne avec la naissance toute récente de l'électro-cardiogramme. L'usage voulait que les élèves viennent déposer leur carte de voeux du 1er janvier au domicile du Patron, souvent dans un panier disposé à cet effet devant sa porte.palière ! LENEGRE nous en dissuada et nous convia au contraire, si nous voulions lui faire plaisir, à passer le matin du premier janvier 1943, avec lui autour de la table d'autopsie où il se rendait très souvent. Et de fait, nous étions tous là, et nous avons tous beaucoup appris ce matin là en regardant le patron disséquer, avec une certaine gourmandise, un anévrysme de la crosse de l'aorte proche de la rupture...
Cette année là, j'ai fait deux remplacements de généralistes de ville, l'un dans le 14ème arrondissement, l'autre à VITRY sur Seine. Je me suis présenté à mon premier concours d'internat mais dès la première épreuve, celle d'anatomie, j'ai "filé" comme on disait lorsqu'on remettait une copie blanche, car je ne connaissais pas un traitre mot de l'"arrière-cavité des épiploons" sujet que je n'avais pas préparé. Enfin, je me suis marié en pleine guerre, le 4 août 1943 en Dordogne, avec Marguerite Marie-Louise CHAPGIER qui m'a secondé - je devrais dire supporté - jusqu'ici pendant 65 ans à ce jour !
L'année suivante, j'effectuai ma troisième année d'externat en médecine chez le Pr Paul ABRAMI à l'hôpital Broussais.
Comme je l'ai rappelé plus haut, elle fut interrompue par la Libération.