Etablir un lien contractuel entre un assureur, un assuré et divers prestataires de service est un objectif louable à condition que les droits et les devoirs de chacun des trois partenaires soient clairement définis, convenablement harmonisés et scrupuleusement respectés.
L'assureur s'engage à protéger son adhérent contre un risque (en l'occurrence, la maladie ou ses séquelles) dans des conditions contractuelles ou conventionnelles soigneusement définies moyennant le versement d'une cotisation ou d'une prime.
Les prestataires de services s'engagent à satisfaire les obligations de l'assureur vis à vis de son adhérent en respectant les clauses d'un contrat ou d'une convention librement discutés déterminant entre autres le montant de leur rémunération.
L'assuré entend être couvert par l'effet conjugue des deux précédents dispositifs indépendamment de la qualité du service. Il estime normal d'être remboursé (avec ticket modérateur ou pris en charge en totalité) sans aucune surprise pécuniaire, dans la limite des tarifs opposables depuis l'origine.
Or, le système conventionnel français a été conçu depuis l'origine sur le modèle unique de l’exercice du généraliste en médecine ambulatoire tarifée à l'acte avec possibilité de dépassements d’honoraires.
1°) la Convention unique.
Depuis 1960, il n'existait qu'une Convention unique enfermant dans le même moule conventionnel rigide et inextensible toutes les formes d'activité médicale dite libérale, l'acte "léger" et l'acte "lourd", unique ou répétitif, diagnostique ou thérapeutique, ambulatoire ou en hospitalisation.
Si en 1945, les généralistes étaient en effet de loin les plus nombreux, il n'existait que 5 spécialités (chirurgie, obstétrique, radiologie, psychiatrie, biologie). La CNAMTS n'en répertorie toujours que 24 dont 13 chirurgicales, tandis que l'Ordre en reconnait 53 et certains auteurs (J. de Kervasdoué) plus de 100.
Il a fallu attendre la Convention de spécialistes de 1997 signée par la seule UCCSF, reconnue représentative après 10 ans de d'efforts, pour voir enfin séparés, dans deux conventions distinctes, les généralistes des spécialistes, possibilité qui existait depuis le DMOS de la convention de 1990 mais qu'un lobbye médical puissant refusait d'expérimenter pour maintenir son hégémonie sur l'ensemble de la nébuleuse médicale.
En fait, il ne s'agissait dans l'esprit des spécialistes signataires de 1997, que d'une étape transitoire permettant d'établir des conventions catégorielles épousant les flux démographiques, les impératifs techniques et les retombées économiques de chacun des trois grands types d’exercice médical :
  • la médecine ambulatoire du généraliste (pour l'instant seule réalisée avec obstination par MG France)
  • la médecine ambulatoire du spécialiste à « plateau technique léger »
  • la médecine du spécialiste à « plateau technique lourd » en ambulatoire ou en hospitalisation.
Or, cette dernière catégorie est régie par deux conventions distinctes qui continuent à s'ignorer l‘une l'autre depuis plus de 40 ans ...! Outre celle des spécialistes inaugurée en 1997, il existe une autre convention, celle de l'hospitalisation privée conclue périodiquement entre les gestionnaires des établissements et la même assurance-maladie, mais sans les médecins spécialistes qui sont réglementairement obligés d'assurer un grand nombre d'obligations (les transversalités) et qui ne sont jamais consultés.
Pour que le système conventionnel français redevienne cohérent dans le secteur de ville de l'hospitalisation, il faudrait nécessairement réunir les trois partenaires indissociables, caisses, gestionnaires d'établissements privés et spécialistes exerçant dans ces établissements, dans une Convention nationale tripartite de l'hospitalisation privée, éventuellement déclinée sur le plan régional en raison de ses spécificités locales.
Malheureusement, les tenants de la Convention unique n'ont pas supporté la signature de l'UCCSF qui aurait permis, par étapes successives, d'arriver à cette formule tripartite exactement adaptée à son objet. D'où l'invalidation de l'UCCSF par le Conseil d'Etat le 26 Juin 1998 et par voie de conséquence, l'annulation de la Convention "scélérate" (sic) de 1997.
Les adversaires de la Convention séparée de spécialistes de 1997 (CSMF essentiellement,) espèrent revenir avec l'appui de la CGT et de FO, à la Convention Nationale Unique, modèle 1971, pour retrouver leur pouvoir hégémonique sur l'ensemble du corps médical d'exercice libéral.
Or la diversité des modalités d'exercice réalise une juxtaposition de métiers différents sans autre lien interprofessionnel que le Code de déontologie médicale dont l'Ordre veille au respect lorsqu'on lui en laisse les moyens.
Même assortie de volets catégoriels spécifiques, la Convention unique ne peut plus répondre à l'évolution très rapide des techniques de diagnostic et de traitement : la radiologie devient progressivement interventionnelle et la coelio-chirurgie n'a été reconnue dans la Nomenclature de la Convention unique qu'après plusieurs arrêts de la Cour de Cassation et 6 ans de procédures multiples...! Peut-on revenir à la Convention médicale unique alors que les professions paramédicales sont toutes régies par des Conventions spécifiques indépendantes ?
D'ailleurs, les nombreuses conventions collectives du monde du travail ne sont-elles pas conclues selon des modalités propres à leur objet ou à la rigueur, par accords de branches professionnelles ?
2°) les dépassements d'honoraires
Il existe une contradiction fondamentale entre une Convention qui, entre autres, fixe une échelle de "tarifs d'honoraires" et la persistance d’une possibilité de dépassements quelles qu'en soient les modalités réglementaires d'application.
A la notion - assez vague - de notoriété, a succédé le "Droit permanent a dépassement" (D.P. Attribué par une Commission ad hoc) puis en 1980 après suppression du D.P. (maintenu dans un cadre d'extinction), l'institution du "secteur à honoraires libres" (ou secteur 2 auto-attribué) qui a été depuis 1993, limité à la première installation de certains praticiens titrés.
C'est à l'évidence cet objectif constant d'échapper à la rigueur d'un tarif quelles qu'en soient les justifications, qui a faussé totalement le jeu conventionnel depuis le début en ouvrant la porte à de très nombreux abus, tant dans le secteur de ville que dans le secteur public, dès lors que les malades n'étaient préalablement prévenus ni de l'existence ni de l'ampleur du dépassement, selon un engagement contractuel, au moins moral, passé entre le praticien et son patient.
A quoi rime une Convention qui se veut pure et dure si un praticien peut s'exonérer à sa guise de certaines contraintes, notamment tarifaires ?
Il aurait été plus logique d'offrir à chaque praticien un système plus rigoureux, sans possibilité d’entorse au principe de base. Cette formule sans dépassement, avec tiers payant a, comme ou l'a rappelé plus haut, inspiré Arnaud BRUNET lorsqu'i1 a créé en avril 1934, la première clinique conventionnée dans un quartier populaire du 15ème arrondissement de PARIS. Il a ainsi établi et maintenu l'indispensable climat de confiance entre tous les partenaires - caisses, praticiens et gestionnaires - toutes les fois que l'accord tripartite de base était intégralement respecté.
Le praticien qui accepte les contraintes et les avantages d’une Convention, éventuellement individuelle, doit, selon nous, en respecter scrupuleusement l'esprit et... les tarifs.
A l'inverse, celui qui préfère sa liberté d'honoraires ne doit pas être obligé, par la signature d'un seul, d'observer un engagement qu'il sait ne pas pouvoir ou vouloir tenir.
Le remède : le double secteur ?
La seule solution, selon nous, pour concilier ces deux exigences contradictoires, c'est l'institution du double secteur proposé en ces termes dès 1947 par Paul COSSAPresse Médicale, supplément n°7, 1er février 1947, p.1-2 (cet extrait est tiré de l'ouvrage de Y. LONCKE – J. LAROZE «  le syndicalisme médical 1945-1983 » Cahier Georges VALINGOT n°1), chirurgien de Nice et militant CSMF : Les médecins seraient libres d’adhérer ou non, personnellement, aux clauses financières de la Convention : les médecins "conventionnistes" pratiqueraient le tarif limitatif, les médecins libres, l'entente directe. Dans les deux cas, le remboursement serait identique.
Peu de temps avant l'importante réforme de 1960, Arnaud BRUNET, fort de son expérience des cliniques conventionnées, publiait un article intitulé "Pour un double secteur médical"La Sécurité Sociale pour tous (7ème année, n°26, fév 1960, p55-60).
C'est ce principe de double secteur qui a guidé depuis 1970 toute la politique de la F.M,F. Notamment lorsqu'elle a institué en 1980 le secteur 2 Les Caisses ne remboursent que 80% du tarif conventionnel des honoraires mais non le dépassement qui reste à la charge du malade ou d'une mutuelle complémentaire. Les actes égaux ou supérieurs à KC50 sont pris en charge à 100% en tiers payant. mais que certains ont imprudemment incité à généraliser.
Aujourd’hui, en 2000, soit un demi-siècle plus tard, et en vertu des directives européennes de 1992, cette formule de double secteur pourrait être fonnulée de la façon suivante :
  • l'un totalement libre, à la condition qu'il soit mis fin au monopole d'exclusivité sur une clientèle captive dont bénéficie l'Assurance maladie Faut-il rappeler que ce monopole a été abrogé par la Directive Européenne n°92/49 du 18 juin 1992 avec effet au 1er juillet 1994 ? Cette Directive est appliquée depuis le 1er janvier 1996 en Allemagne, pas toujours pas en France... par les cotisations obligatoires qu'elle prélève sur toute la population
  • l'autre conventionné où le praticien respecte toutes les clauses, y compris tarifaires sans dépassement, d'une convention collective ou mieux, d'un contrat individuel qu'il a, après discussion, librement ratifié.
Au moment ou l'art.55 de la loi du 27 juillet 1999, reprenant les dispositions de la loi EVIN du 31 juillet 1991, a institué l'expérimentation de la tarification par pathologie, on peut prévoir que cette formule forfaitaire englobant les honoraires répond aux exigences contemporaines d'une activité professionnelle exercée en équipe autour d'un plateau technique lourd :
  • maintien du principe de la rémunération à l'acte auquel le corps médical libéral reste très attaché ;
  • l'acte lui-même dûment identifié et convenablement évalué dans toutes ses composantes est inclus dans un forfait détaillé portant sur tous les postes et tous les acteurs permettant sa réalisation dans les meilleures conditions techniques et économiques ;
  • incitation à une obligation de résultat puisque le forfait s'applique pour une durée limitée (en général de 6 à 12 mois) pour un acte chirurgical, même en cas de reprise ou de complications selon la formule en vigueur au Centre Cardio-thoracique de MONACO avec un succès constant depuis 1987, grâce à l'existence d'un fonds de garantie prélevé sur le forfait global, adapté à chaque cas.
Si ce système semble pouvoir convenir à chaque pathologie chirurgicale, il n'est pas certain qu'il puisse être applicable à toutes les pathologies associées. C'est l'expérimentation prévue sur 5 ans à partir de 1999 qui devrait permettre de l'adapter à chaque cas complexe.