J'ai exercé simultanément en clinique et à l'hôpital public. J'ai en effet appartenu, comme tous mes Maîtres, à cette génération de praticiens à temps-partiel qui le matin, et souvent de très bonne heure, opéraient à l'hôpital, consultaient certains jours, faisaient une grande visite une ou deux fois par semaine et trouvaient le temps d'enseigner. L'après-midi, ils consultaient et opéraient "en ville" comme on disait alors, dans une ou deux cliniques où ils avaient leurs habitudes. A tour de rôle, ils emmenaient pour les aider, leurs internes ou leurs assistants, qui ainsi continuaient à bénéficier de l'enseignement technique, mais aussi psychologique dispensé par leur patron.
Ils ne faisaient aucune différence entre leurs malades publics et leurs malades privés, les suivant avec le même zèle, et parfois, les hospitalisaient selon les cas, indifféremment à l'hôpital public ou en clinique privée. De même, certains utilisaient leur propre instrumentation qu'ils confiaient indifféremment à la panseuse de clinique ou à celle de l'hôpital.
A leur exemple, j'ai exercé de 1948 à 1985, de la même façon qu'eux, tout en rappelant la fantastique évolution subie par la chirurgie pendant cette période.
En 1950, on utilisait avec parcimonie les antibiotiques, les ostéosynthèses étaient encore rares, et certaines fractures des membres inférieurs étaient encore traitées par extension continue et plâtres. Les premières prothèses de hanche en métacrylate de méthyle des frères JUDET, apparues vers 1952, seront rapidement utilisées dans les fractures sous-capitales du fémur. On discutait sur les techniques de gastrectomies, selon Polya ou selon Finsterer, sur les techniques de sutures en deux ou trois plans ou, audace suprême, en un seul plan selon Jourdan ! L'anesthésie locale, longtemps utilisée, fut progressivement remplacée par la rachi anesthésie, jusqu'au moment où l'anesthésie en circuit fermé se généralisa, d'abord sans et bientôt avec curare et intubation.
Je rappelle l'époque où les radiographies de contrôle en salle d'opération étaient effectuées avec des appareils portatifs reconnus par la suite dangereux et, où la mise en place de tubes de radium pour cancer du col utérin étaient effectuée sans précautions particulières par le chirurgien lui-même quelques semaines avant un Wertheim.
Beaucoup plus tard apparaîtront la télévision en noir et blanc, la lumière froide transmise par les fibres optiques, les calculatrices précédant l'ordinateur.
Pendant toute cette période, j'assistais chaque mercredi aux séances de l'Académie de Chirurgie qui se tenaient encore dans le modeste local de la rue de Seine. Je lisais assidûment les revues professionnelles, découpant les nouvelles techniques, assistant ponctuellement au Congrès annuel de l'Association Française de Chirurgie, à l'affût de toutes les dernières nouveautés. C'est ainsi que les Cahiers de Chirurgie dont j'assurais la rédaction publièrent pour la première fois en France les avantages procurés par les sutures mécaniques, jusque là considérées avec méfiance par la profession.